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22/01/2007

La classe ouvrière en enfer

  Qui est cet Hagström venu restructurer l’usine sidérurgique et qui fut victime d’un tel accident que chacun semble en porter encore la culpabilité ?  Le vieil Einar (Michel Baudinat), comme les plus jeunes, Douglas (Thomas Rathier), John (Pierre Hiessler), Lena (Grétel Delattre), Sirpa (Sonia Floire), Gisela (Christine Brücher), comme les nouveaux, Rolf (Vincent Berger) ou Sara (Alice Le Strat) ne peuvent s’empêcher de ressasser, de s’accuser, de se battre. La fable de Magnus Dahlström, mise en scène par Jacques Osinski, peint la cruauté du monde du travail, et celle de la société humaine. Les acteurs eux-mêmes par instants, semblent étonnés de tant d’agressivité. 

Que les travailleurs et les travailleuses haïssent le chef, Sven (Éric Petitjean) ce contremaître autoritaire, on admet, mais qu’ils deviennent bourreaux du plus faible d’entre eux plutôt que d’être solidaires devant l’ennemi, le capitaliste, voilà de quoi ébranler les convictions des militants syndiqués ! Ça ne va pas plaire du tout à Arlette !

Les scènes se déroulent entre des murs bétonnés, roussis par l’oxyde de fer, percés de meurtrières horizontales vitrées, d’où on peut épier les ouvriers : la scénographie de Lionel Acat souligne la déshumanisation du système. Aucun confort, deux bancs et quatre tabourets, pas question de s’attarder à la pause, chacun doit reprendre le boulot vite fait après avoir avalé son café ! Pas le temps non plus de quitter son bleu de travail ! Juste celui de s’étriper verbalement avant de se suicider, d’assommer l’autre à coups de tube métallique ou de lyncher le bouc émissaire.

Brutale, violente, injuste, sexiste, la classe ouvrière ne va pas au paradis, même en Suède. Quant à l’enfer, elle y est déjà !

 

 

 

L’Usine de Magnus Dahlström

Théâtre du Rond-Point

16 janvier-25 février

01 44 95 98 21

18:55 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre |  Facebook | |  Imprimer

21/01/2007

Un drôle de gâteau

  Le cocon familial manque singulièrement de douceur ces temps-ci. Les parents ne jouent plus les rôles de bons apôtres protecteurs. Et les enfants les accusent, même  s’ils ne les jugent pas.

 

Quand Stéphanie (Anne Loiret) et Caroline (Lysiane Meis) se retrouvent pour fêter l’anniversaire de Paul (Jacques Lemarchand), leur père, il s’en dévoile de belles ! Stéphanie, placide, révèle à sa cadette bouleversée, l’existence d’une liaison dans le passé de leur père et d’un amant dans celui de leur défunte mère. Le gâteau « chocolat-piment » aura du mal à passer ! Édouard Laug a créé un décor aux murs de brique blanchie, aux meubles bleu pâle, aux huis rouge vif, et les lumières de Philippe Quillet rythment les heures qui passent. Tout est apparemment harmonieux et équilibré. La mise en scène de José Paul et Agnès Boury respecte ces apparences. Carole, un peu immature rengaine sa déception et ses griefs pour exposer des blessures jusqu’alors secrètes. Son égoïste de mari, Franck (Éric Savin) a décidé de profiter d’une promotion dans sa carrière pour la quitter. Stéphanie est calme, lucide, réaliste, Anne Loiret compose le portrait d’une célibataire tranquille et compréhensive. Elle a la suavité du chocolat. Face à elle Lysiane Meis, piquante comme un piment, joue fort naturellement l’épouse délaissée, angoissée, perfectionniste en laquelle bien des jeunes femmes se reconnaîtront. Elle emploie un discours stéréotypé qui cache sa faiblesse. Elle déploie une alacrité artificielle qui masque mal son désarroi. Le mari est grossier, le père est ironique. Sur cette opposition les querelles naissent, les égratignures saignent, la comédie trotte, sans déchirement, sans violence.

Quand, au matin, chacune laisse le père à sa solitude, l’inconnue, Élise (jouée par l’auteur elle-même, Christine Reverho ) peut entrer, laissant le dénouement ouvert sur des points de suspension. Les spectateurs trouveront dans ce sucré-pimenté de quoi satisfaire leurs goûts.                                                                                                                                                         

 

Chocolat Piment de Christine Reverho

Théâtre la Bruyère

01 48 74 76 99

23:11 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre |  Facebook | |  Imprimer

09/01/2007

Inventer Les Géants de la montagne

  La dernière pièce de Luigi Pirandello, Les Géants de la montagne, pose les problèmes des œuvres inachevées Annoncée dès 1928 comme possédant « une légèreté de nuages sur des profondeurs d’abîme », l’oeuvre n’est toujours pas terminée en 1936. Les notes de Stefano Pirandello, son fils, ne résolvent pas les questions posées par  un texte aux « temps et lieux indéterminés, entre la fiction et la réalité », et qui révèle une angoissante gravité. « L’étoffe des rêves » cousue ainsi godaille par endroits. Mais Claudel nous avait prévenus : « C’est ce que vous ne comprendrez pas qui est le plus beau, c’est ce qui est le plus long qui est le plus intéressant et c’est ce que vous ne trouverez pas amusant qui est le plus drôle. » (Le Soulier de satin, I,1)

Alors, malgré les obscurités, toute représentation des Géants de la montagne cause cette impression mystérieuse, cette émotion qui fait dire au psychanalyste que « quelque part », nous savons. Laurent Laffargue, le metteur en scène, abandonne « la villa au crépi rougeâtre et délavé », et le « cyprès » déplumé que Pirandello décrit dans ses didascalies. Cotrone (Hervé Pierre), a établi ses quartiers dans un entrepôt désaffecté, structuré comme un espace shakespearien. Au fond, « le pont » pirandellien, sorte d’upper gallery surplombe l’inner gallery, cloisonnée et fermée par des portes de fer. À jardin, des praticables desservis par des escaliers étroits, troués par des buses énormes ; à cour, ce qui pourrait être l’entrée d’une demeure, un seuil de maçonnerie au faîte en arc de cercle ; sur le plateau des sièges disparates et la gigantesque bobine d’un câble dévidé pour table : tout dit la récupération, le paupérisme, et les « guignards » gravitant autour de Cotrone, Milordino (Stéphane Szestak), Quaquéo (Jean-Luc Orofino), Mara-Mara (Juliette Roudet), La Sgricia (Isabelle Sadoyan) suggèrent la vie de bohème (costumes de Nathalie Prats). Cotrone est en effet un saltimbanque, et se présente comme « magicien ». Une troupe de comédiens, ruinée par l’échec d’une création, erre à la recherche d’un abri, et de contrats. Cotrone offre l’hospitalité. Il a peu d’argent mais il le partage. Il est libre car le dénuement n'est-il la condition nécessaire de la liberté ?  les comédiens pourront répéter La Fable du fils substitué et chercher un engagement. Les « géants de la montagne » et leur brutalité vont briser le petit phalanstère.

Or, La Fable du fils substitué  créée en 1934 à Rome a été interdite par Mussolini, au moment où Pirandello achève et publie le deuxième acte des Géants de la  montagne. L’impossibilité de terminer sa pièce n’est-elle pas liée à la trahison du régime fasciste que Pirandello avait d’abord soutenu ?

Dans cette troupe errante, démembrée, la comtesse Ilse, comédienne, (Océane Mozas) se consume littéralement d’amour platonique pour le poète qui a écrit le drame et s’est suicidé.  Le Comte son mari (Éric Challier) s’est ruiné, et les autres Diamante (Hélène Babu), Cromo (Philippe Bérodot), Spizzi (Félicien Juttner), Battaglia (Laurent Ménoret), Nano (Lumachi) survivent en la protégeant. Cotrone, qui devine tout et manipule tout le monde, sous son aspect débonnaire  n’est-il pas la représentation d’un pouvoir occulte qui préfère « inventer la vérité » ? Ses truquages ne sont-ils pas les effets spéciaux, mais nécessaires au nouvel art, le cinéma, auquel Pirandello collabore ? Et ces géants, que nous ne verrons jamais mais qui cernent la villa, et interrompent la représentation, quelles forces démagogiques représentent-ils ?  Comment les réprésenter,? Comment les "inventer" ?

Autant de questions posées, autant de réponses imprécises, mais que de belles images et quelle poésie ! Les lumières de Patrice Trottier et la musique de Nano, organisent un univers étrange, où le matérialisme sombre dans l’irréel, où Chacun sa vérité rejoint Le Crépuscule des Dieux… Troublant…

Théâtre de la Ville

Jusqu’au 27 janvier

01 42 74 22 77  

 

16:39 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Théâtre |  Facebook | |  Imprimer