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27/11/2006

Divine Joséphine

Elle aurait eu cent ans cette année. Et notre République qui aime tant les commémorations a oublié de la fêter. Elle avait pourtant eu droit à des funérailles nationales, la petite noire de Louisiane qui s’engagea dans la Résistance et descendit les Champs-Elysées dans son uniforme de sous-lieutenant des troupes féminines auxiliaires de l’armée de l’air française. Jérôme Savary lui offre l’Opéra-Comique, et un hommage en forme de revue.

Il aurait pu copier la Revue Nègre de 1925, ou reprendre la série de tableaux de son jubilé de 1975 qu’elle ne joua que trois fois à Bobino, mais en amoureux du jazz et de la scène, c’est à travers un voyage de Louisiane à Paris, qu’il retrace l’itinéraire de la jeune « Vénus noire » qui révolutionna Paris et le Music-Hall.

Car elle était née en Louisiane, l’enfant des quartiers noirs misérables. Au lieu de nous raconter son histoire, Jérôme Savary nous emmène dans la Louisiane d’aujourd’hui, dévastée par l’ouragan. Au lieu de nous détailler l’histoire de Joséphine, il part de celle d’une petite perle noire qu’il a découvert là-bas, une pétulante danseuse qui a pris un nom français : Nicole Rochelle pour incarner la divine Joséphine.

Il embarque les protagonistes Tom (Allen Host), Joe (James Campbell), Jimmy (Jimmy Justice), à bord d’un canot de sauvetage fiché dans la fosse d’orchestre, tandis que sur l’écran du fond de scène défilent les images de la Nouvelle-Orléans sinistrée. Jim a perdu son chien et Joe son piano. Survient un producteur de spectacles à la recherche d’une vedette pour sa nouvelle « Revue nègre ». Michel Dussarrat bottes et ciré jaunes est un homme Protée. Il est de tous les tableaux, il danse, il chante, il mène la revue, passe d’une époque à une autre, change de sexe, de costume, en un clin d’œil. De plus, tous ces costumes chamarrés, bigarrés, pailletés, il les signe ! Ah ! Le tableau de La Petite Tonkinoise : quel éblouissement ! Dussarrat est un génie de la scène et nous lui votons dix Molières d’un coup pour tous les spectacles auxquels il donné son talent depuis trente ans, dans la bonne humeur et la simplicité.

Vous connaissez l’instinct fabuleux de Savary à dénicher des bêtes de scène. Nicole Rochelle ressemble à cette Joséphine des débuts, telle que nous la décrivaient les critiques de l’époque, petit animal sauvage, clownesse et vamp à la fois, rebelle, généreuse, sensuelle jusqu’à la provocation. Par flashes back, Savary nous fait passer de la Louisiane de 2005 au Paris de l’exposition universelle, et Nicole Rochelle descend le grand escalier sur les succès de Joséphine. Un frisson passe quand elle chante : J’ai deux amours, ou que dans un ballet sauvage, elle se trémousse en culotte de satin tricolore avec deux cocardes sur les seins. Sa voix est envoûtante, voluptueuse, moins fragile dans les aigus que son modèle, elle est superbe.

On distinguera les airs du passé, et les nouveaux, souvent signés Savary lui-même, qui paye aussi de sa personne dans le spectacle, et on applaudira une troupe homogène où les danseurs noirs se déchaînent et où des musiciens blancs transportent le public. Qu’on y chante le blues ou le gospel, qu’on y danse le ragtime ou la salsa, la scène de l’Opéra-Comique garde l'âme populaire et nourrit les mémoires.

 

 

P. S. Pour l’« histoire du mot jazz », signalons que Cavelier de la Salle, à la fin du XVIIe, qualifiait ainsi la façon de chanter des esclaves noirs : « ils ne chantent pas, ils jasent ».

 

Jusqu’au 14 janvier 2007

tél. 0825 000058

15:55 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer

23/11/2006

Retrouver les temps difficiles

Disons-le d’entrée : retrouver Les Temps difficiles d’Edouard Bourdet réconcilie avec le Théâtre. Joué par la troupe de la Comédie-Française, chaque rôle est interprété avec une justesse inouïe, chaque réplique est dite avec la plus exquise des nuances, les décors de Rudy Sabounghi sont simples et beaux, les lumières parfaites, et ce que raconte la pièce est transmis tel que l’auteur l’a conçu. Cela s’appelle le respect, et chacun sait qu’il a tendance à se perdre aujourd’hui. Raison de plus pour clamer notre enthousiasme ! La pièce date de 1934 : période d’agitations sociales qui suivit la dépression économique de 1929. La crise ! Economique et politique, le franc ne vaut plus un clou, l’Allemagne n’a pas payé ses dettes de guerre, les usines ferment, les ouvriers s’agitent, et entre le noir du fascisme et le rouge du communisme, la démocratie s’affaiblit. Vous trouvez que cette époque ressemble à la nôtre ? Pure coïncidence… Vous craignez le théâtre militant ? Rassurez-vous, Bourdet est un véritable auteur dramatique. S’il nous parle de ces « temps difficiles », c’est à travers de  l’histoire d’une famille bourgeoise. Et quelle famille !

Voici l’aïeule, Madame Antonin Faure à laquelle Madeleine Marion prête sa voix et sa silhouette de souveraine régente. Mais elle  est sans pouvoir, la reine-mère. Celui qui dirige la maison c’est son fils, Jérôme pour lequel Bruno Raffaelli s’est composé l’allure d’un bourgeois de Daumier, un peu ventru, juste ce qu’il faut pour montrer qu’on est bien nourri, mise impeccable, jamais de débraillé et cravate nouée dès sept heures du matin. Il domine de sa hauteur, du timbre de sa voix, une maisonnée de femmes obéissantes, une famille où il a dompté ses frères, l’un médecin, Armand (Alain Lenglet), dont le laboratoire émarge aux bonnes œuvres de l’entreprise, l’autre Marcel, (Christian Cloarec) « bobo » avant l’heure, l’âme artiste, sans volonté, qui s’est mésallié en épousant, vingt ans auparavant, une comédienne Suzy (Catherine Sauval) et avec lequel il a rompu tout contact. Il commande aussi son fils, le pâle Maxime (Denis-Léger Milhau), qui doit assurer la descendance, et dont, la femme, Loulou (Valérie Bauchau) est enceinte. Tout irait bien si celle-ci n’avait pas déjà fait deux fausses couches. Et surtout, si les banques couvraient les échéances. Mais il n’a plus de trésorerie et les associés le lâchent. C’est dans ces moments-là qu’on a besoin de resserrer la famille ! Jérôme « pardonne » à Marcel dans un élan de générosité très calculé puisque le petit frère possède encore cinq cents actions, ce qui constitue une minorité de blocage. Mais le meilleur atout sera Anne-Marie la nièce dont il fait connaissance, jeune sportive de dix-huit ans, au corps délié, dont Flora Brunier fait une biche affectueuse et naïve. Avec elle, les jeux, les rires reviennent dans la vieille demeure, et ramènent l’oncle volage qui laissait « la pauvre Lucie » hurler dans le pavillon de chasse, et Maxime qui délaissait sa femme.

Chaises longues sur la terrasse, les femmes tricotent à l’ombre des bouleaux, servies par un vieux domestique Cyprien (Pierre Vial). On pourrait penser à La Cerisaie tant il ressemble à Firs, mais dès les premiers mots, la dureté de ton de Charlotte (Catherine Ferran) bannit toute sentimentalité. Ses échanges aigres avec sa bru : « Nous avons toutes été enceintes », la façon dont la comédienne prononce « ma mère », en disent long sur l’hostilité qu’elle réprime. Ton sec, mais lucidité aiguisée, elle suit la devise never explain, never complain. Affable avec Mélanie Laroche (Dominique Constanza), leur riche voisine, elle reconnaît que le fils Laroche, Bob (Guillaume Gallienne) est « un beau parti ». Qu’importe qu’il ait le développement mental d’un enfant de six ans dans un corps d’adulte secoué de tics, qu’il ait l’élocution hésitante, puisqu’il demande Anne-Marie en mariage. Guillaume Gallienne se livre à un numéro déchirant de débile profond, mal aimé, incurable. Il émeut profondément. Sacrifier  « Iphigénie-Anne-Marie » sur l’autel du capitalisme défaillant est un jeu pour le rusé Jérôme que son « associée » de femme seconde avec vigueur. Elle n’est pas « si gentille » que croyait la grand-mère, cette petite oie blanche qui ignore tout du sexe et de ses exigences. Et il en a, l’avorton qui réclame de remplir le devoir conjugal à longueur de nuits. De quoi devenir folle !

Elle sera sauvée par la faillite de la maison Laroche, sauvée par la liquidation des biens ! Sauvée par le cinéma où son frère (Jean-Pierre (Pio Marmaï) travaille.

Car « le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin », c’est ce qu’avait compris Voltaire, c’est ce que savait Bourdet dans cette critique et défense cette caste qui travaille et accumule les richesses que d’autres dépensent : la bourgeoisie. Les temps n’ont guère changé, et Bourdet est devenu un classique.

 

Vieux-Colombier

du 22 novembre au 30 décembre

 01 44 39 87 00

texte publié à l'Avant-Scène Théâtre, collection des Quatre-vents

22:15 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer

16/11/2006

Trilogy d'amour

Bonne nouvelle : le Vingtième théâtre reprend Torch song trilogy de Harvey Fiersten, une  « trilogie » que Christian Bordeleau avait adaptée, mise en scène et créée la saison dernière. Ce fut un succès, et fine mouche, le directeur, Pascal Martinet, garde le spectacle jusqu’au 31 décembre. Une aubaine !

L’auteur est new-yorkais et la pièce se passe là-bas, avec une échappée au Canada. Elle parle des gays et  elle aborde la question de la dignité.

Arnold (Eric Guého) est « drag queen » dans une boîte Off Broadway. Robe de satin, paillettes, perruque bouclée, talons aiguilles et faux cils, « elle » chante : « Je suis svelte ! », une chanson ironique et sans fard : « je gerbe discrètement ». Chanson réaliste et railleuse qui révèle un personnage attachant.

Arnold est en quête d’amour, le vrai, pas celui d’une backroom, il veut des lendemains qui sourient au petit déjeuner. Il a « couché avec plus de mecs qu’il n’y en a dans la Bible », mais pas un ne lui a dit « Arnold, je t’aime ». Le voilà fou de Ed (Frédéric Chevaux ou Emmanuel Barrouyer), un jeune prof qui n’ose pas afficher son homosexualité, et qui pour faire plaisir à sa famille, se laisse embarquer dans une relation durable avec Laurel (Brigitte Guedj). Arnold est malheureux. Fin de la première partie. 

 Arnold se console avec Alan (Firmin David), un jeune beau mec qui pose comme mannequin. « Ils font un beau couple » dit Laurel. Cinq mois plus tard, Ed jaloux, tente au cours d’un week-end, de désunir les deux amants. En vain.

Mais cinq ans plus tard, il divorce… Alan est mort, massacré par une bande d’homophobes. Arnold vit comme « une veuve italienne », et s’occupe de David (Thomas Maurion), que l’équivalent de la DASS a retiré aux géniteurs. C’est à ce moment-là que commence le troisième volet de la trilogie et qu’entre en scène une Mamma grandiose (Rosine Cadoret), comme les auteurs juifs ou italiens savent les peindre. Tyrannique et tendre, instinctive, têtue, colérique, mais amadouée par tout ce qui ressemble à un sentiment généreux, elle fond littéralement devant la jeunesse du fils adopté, petite grande gueule qui cherche à être aimé.

On le voit c’est une histoire d’amours. Amour de mecs, amour de mère, amour filial.  Arnold ne veut pas qu’on ait honte de lui. Il creuse la plaie jusqu’à l’os, pour retirer toute sanie de la blessure. Il interpelle ceux qui lui refusent le droit d’être ce qu’il est. Christian Bordeleau qui avait déjà dans Les Anciennes odeurs,  brossé toutes les nuances du désamour, réussit avec cette trilogie a émouvoir autant les homos que les hétéros. Il faut dire que les acteurs, tous, sont superbes, et que nous sommes affamés de tendresse. Ah! oui, qu'on nous parle d'amour, qu'on nous redise des choses tendres !

Le décor des deux premières séquences est succinct : à jardin, un miroir de loge, un tabouret, qui disparaissent quand arrivent les canapés, rouge vif, identiques dans leur forme et dans les couvertures qui les habillent. Les tableaux s’enchaînent en fondu sur la musique d’Etienne Lemoine. Au dernier acte, la cuisine-living colorée de rouges et de rose, le canapé, le buffet, les différents accessoires, les photos, tout concourt à donner l’idée d’une stabilité, d’un engagement.

Car Arnold, qui sait que « dans un couple, il y en a un qui aime plus que l’autre », a toujours été « celui-là », et à force de porter cet amour, l’a insufflé à tous. Un bel exemple !

Torch song trilogy de Harvey Fiersten

Vingtième théâtre

Du 3 novembre au 31 décembre

01 43 66 01 13  

 

13:35 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer