12/11/2006
La Mamma et la Médée
Elle est bien morte, la Mamma telle que la chantait Aznavour. Celle que Dario Fo présente avec Franca Rame dans Récits de femmes et autres histoires a viré tout sacrifice de son cursus. Elle revendique, refuse de pardonner, transgresse les traditions et retourne à l’antique modèle, Médée : sorcière et criminelle.
C’est ainsi que Didier Bezace conçoit le spectacle où il réunit La Maman Bohême et Médée avec son Prologue. Ariane Ascaride est d’abord la Maman Bohème en rupture de conjugalité, poursuivie par les carabiniers, réfugiée dans le confessionnal d’une église et dénoncée par un curé délateur. Puis elle devient Médée, qui empoisonne le mari infidèle pour se libérer de l’ordre établi.
L’art du metteur en scène rend logique la suite des événements et la scénographie de Jean Haas permet l’enchaînement des faits. L’excellente direction d’acteur de Didier Bezace conduit Ariane Ascaride du rôle comique d’une militante communiste et catholique des années 70 au mythe tragique mais dépouillé du sacré. Il habille le drame de grotesque sans trahir le texte, mais en se glissant dans les interstices d’une parole dont l’ironie apparaît dans des gestes quotidiens et réalistes qui contredisent l’apparente soumission.
Ariane Ascaride empoigne les rôles et va au combat comme une vraie militante qu’elle a toujours été. On rit de sa force et de nos faiblesses. C’est excellent…
Allez-y, « elle commence » !
La Maman Bohême suivi de Médée
Deux pièces de Dario Fo et Franca Rame
Traduction de Valeria Tasca
Du 8 novembre au 17 décembre
Théâtre de la Commune d’Aubervilliers
01 48 33 16 16
22:15 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | Imprimer
09/11/2006
Vêtir la Vérité
Connaître la vérité toute nue ? Vous y parviendrez rarement. Au nom de la morale et de la religion les Hommes la revêtent trop souvent d’un voile pudibond ou d’oripeaux horribles.
Ce n’est pas tout à fait par charité chrétienne que l’écrivain Nota (Gilles David) a recueilli Ersilia (Cécile Coustillac) la suicidaire. Ce n’est pas par désespoir amoureux qu’elle a voulu mourir, enfin, un peu quand même… Mais il est difficile de dénouer le fil de la vérité dans l’écheveau des mensonges. Pirandello nous le dit depuis 1917 avec Chacun sa vérité et Les Grelots du fou jusqu’à ce Vêtir ceux qui sont nus créé en 1922. Il poursuivra cette quête tout au long d’une œuvre qui fouille les faiblesses des hommes et les plaint plus qu’il ne les juge.
Elle est bouleversante Cécile Coustillac, dans ce rôle de jeune fille séduite et que le désir de vivre a abandonnée. Elle touche « l’extrême fond », et dans son « petit ensemble bleu clair » qui lui donne l’air d’une collégienne, elle a atteint ce désespoir dont parle Kierkegaard, ce dégoût de la vie, où même l’espoir de la mort n’existe plus. Elle parle de sa vie vide, et crache son mépris à la face des hommes qui l’ont niée. A Franco (Antoine Mathieu) son séducteur qui l’a éveillée aux plaisirs de la chair et qui se dit bourrelé de remords, mais uniquement depuis que sa fiancée l’a mis à la porte. Elle oppose le même visage buté à Grotti (Sharif Andoura) le maître qui a profité « du feu » que Franco avait « allumé » en elle, et l’a avilie jusqu’à la haine, jusqu’au drame qui a causé la mort de l’enfant dont elle était la nurse. « Tous des chiens ! » qui ne comprennent pas qu’il lui est impossible de vivre.
Stéphane Braunschweig, le metteur en scène, choisit un décor emboîté dans des cloisons matelassées obscures qui feutrent les murs du meublé de Madame Onoria (Hélène Schwaller), où la jeune Emma (Anne-Laure Tondu) fait le ménage. Ainsi ces deux femmes s’inscrivent dans une société doublement close où règne une morale hypocrite qui s’offusque au nom de la bienséance, mais pleure au récit des malheurs d’Ersilia. Il décale l’action dans une époque plus proche de la nôtre puisque les costumes (Thibaut Vancraenenbrock) évoquent plus les années 70 que les années 20, et que le journaliste (Thierry Paret) tient une caméra.
On l’approuve de jouer l’atemporalité sur un texte, qui paraît avoir été écrit pour notre époque de voyeurisme et de « victimisation ». La traduction ne Ginette Herry y est sans doute pour beaucoup aussi. Ou alors, Pirandello qui s’inspirait à la fois d’un fait divers, et de la nouvelle de Luigi Capuana qui fut le narrateur et le héros de l’aventure des « Carnets d’Ada », a-t-il pressenti le rôle que la presse à sensation pouvait jouer ? Toujours est-il que dans le personnage de Nota (celui qui a des notes ?), l’auteur commente, raille, ironise sur sa condition avec l’allusion à son roman de 1901 : L’Exclue. Gilles David, goguenard et gourmand l’incarne avec une élégance malicieuse. Face à un Antoine Mathieu torturé, à un Sharif Andoura qui fait la bête et que le démon de midi taraude, il peut imaginer sa comédie du « mensonge démasqué », et rend le spectateur complice. La jeune Cécile Coustillac, l’air buté, oppose sa fragilité à l’orgueil de l’écrivain qui a tout deviné et à la vanité du journaliste fier de « l’émotion » que son récit a provoquée, « C’était si bien raconté dans le journal ! » dit Madame Onoria. Le contraste entre cette somnambule dévastée et la suffisance des hommes émeut le spectateur, qui, avec elle commence à réfléchir « à ce que personne ne s’avoue à soi-même ».
Vêtir ceux qui sont nus s’inscrit dans le cycle « Masques nus » de Pirandello. Et la mise en scène de Stéphane Braunschweig ne travestit aucun des thèmes…
Vêtir ceux qui sont nus de Luigi Pirandello
Théâtre de Gennevilliers
Du 7 au 24 novembre
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23:11 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | Imprimer
26/10/2006
L’apprenti prodigieux
Il y a des gens qui vont au spectacle pour se reposer. Ne dites pas non, j’en ai vu qui piquaient des roupillons pendant les représentations, et même pas pendant le récit de Théramène. Je tairai les noms, parce que je suis sympa… Et qu’avec Sébastien Mossière, il n’en est pas question. Au contraire.
Il entre dans la pénombre, raconte que son oncle, magicien réputé, lui a donné rendez-vous pour sa leçon, et comme, de maladresse mystérieuse en éternuement prodigieux, le maître n’arrive pas, Sébastien dialogue avec le public. Et c’est parti pour une bonne heure de bonheur…
Il se dit « apprenti » magicien, mais c’est un vrai professionnel pour solliciter constamment l’attention des enfants, les faire participer à tous les numéros, leur raconter en même temps des histoires et les tenir toujours sous son charme. La magie n’est qu’un prétexte, le récit nourrit la pratique, libère la poésie, éveille l’imaginaire.
Si Sébastien Mossière joue les distraits, c’est pour que les enfants soient attentifs. S’il se dit apprenti, ce n’est pas pour étaler son savoir-faire, mais pour donner confiance aux petits qui sont fiers de lui rendre service. N'était-ce pas la méthode de Célestin Freinet, champion de la pédagogie active, lui-même émule d'un certain Socrate ?
L’Apprenti-Magicien de et avec Sébastien Mossière
à partir de 4 ans
Théâtre des Mathurins
A 14 h 30 pendant les vacances et après
0142 65 90 00
15:30 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | Imprimer