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07/10/2006

Suicidé, mais pas trop

La vie n’était pas rose dans le paradis soviétique promis par Lénine, et collectivisé par Staline, elle était même carrément noire. De la couleur de l’humour de Nicolaï Erdman. Sa pièce, Le Suicidé, date de 1930, mais elle ne fut jamais jouée en URSS de son vivant. Et bien que Gorki soit intervenu en faveur de l’auteur, que Meyerhold l’ait fait répéter pendant plus de trois mois, qu’Erdman ait accepté des coupures, l’œuvre  sera jugée « réactionnaire », et restera interdite en URSS, jusqu’en 1981. Erdman, condamné à la relégation, interdit de séjour de 1933 à 1949, est mort en 1970 sans l’avoir vu représentée.

 

L’histoire de Sémione Sémionovitch Podsékalnikov n’allait pas dans le sens du globalement positif. Imaginez un chômeur à l’heure de travail et du pain pour tous, ça fait désordre dans le tableau idyllique de la révolution prolétarienne… Sémione (Claude Duparfait), tenaillé par la faim ne dort pas. Il réveille sa femme, Maria (Aude Briant) pour réclamer un bout de saucisson, gémir sur son humiliation, et disparaît, probablement dans la cuisine. Mais entre temps, sa femme et sa belle-mère, Sérafima (Anne Benoit) persuadées qu’il veut se suicider, vont réveiller le voisin, Alexandre (Stephan Wojtowicz). Les nouvelles courent vite dans les appartements communautaires, et dès le matin, Sémione est entouré de tous les mécontents du régime, qui, suicide pour suicide, lui demande de le faire au nom de leur cause. Un suicide en forme de martyr car « ce qu’un vivant peut penser, seul un mort peut le dire ».  Sémione devient le kamikaze des intellectuels persécutés, des artistes bâillonnés, des commerçants spoliés, des popes pourchassés, des syndicalistes farouches, des amoureuses déçues… Sémione commence à exister par le poids que les autres lui donne. Il accepte de se prendre pour ce qu’il n’est pas : un héros. « L’idée du suicide [embellit] sa vie », et il découvre alors qu’il n’a plus peur : « on est cent quarante millions, camarades, et il y a toujours quelqu’un qui a peur, et moi, je n’ai peur de personne. » Suicidé, il veut bien, pour leur faire plaisir, mais pas trop, en tout cas pas, pour de vrai… Il ne veut pas mourir « ni pour eux, ni pour une classe, ni pour l’humanité ».  L’imposture le mène pourtant jusqu’à la tombe, dont il réchappe…

 

Jacques Nichet le metteur en scène donne de cette fable une version éblouissante dans une nouvelle traduction signée André Markowicz*. Voilà un metteur en scène qui ne gaspille pas les subventions. Seize comédiens en scène, et dirigés à la virgule près dans un rythme où les déplacements sont mesurés et chorégraphiés ! Claude Duparfait, Aude Briant, Anne Benoit, Stephan Wotjtowicz, mènent la sarabande avec pugnacité, Chantal Joblon, Jean-Pol Dubois, Nathalie Krebs, Séverine Astel, Mouss Zouheyri, Paul Minthe, Robert Lucibello, Olivier Francart,  Franck Molinaro, constituent une troupe homogène fébrile. Pas de petit rôle dans une grande pièce : même le sourd-muet  (Elsa Berger),  est signifiant. Et le duo Abdel Sefsaf, Nicolas Giret-Famin est épatant. La représentation atteint la perfection. 

 

Laurent Peduzzi joue sur la profondeur pour accorder sa scénographie à l’espace. Chambre étroite de Sémione, alignement de l’utilitaire dans la cuisine commune, ouverture restreinte pour la salle de restaurant, l’horizon est toujours limité, barré, comme l’espoir. C’est remarquable. Peu de couleurs, le noir, le blanc (et leur gamme chromatique) sont de rigueur, le rouge aussi, assez ironiquement dans la robe de la veuve, dans les bouquets de fleurs disposés le long de la rampe de scène, et sur le drapeau rouge du rideau de scène frappé du portrait de Lénine.

Caustique jusque dans le détail, pour survivre dans un rire ravageur…On en a besoin.

 

 

 

* En 1983, la traduction était signée Michel Vinaver.

Les Gémeaux, à Sceaux 01 46 61 36 67 du 6 au 22 octobre

ensuite à Toulouse (26/10 au 22/11) Caen (7-11 novembre) Saint-Brieuc (29 et 30/11) Strasbourg– (16 au 25/11) Châlon-sur-Saône (6 et 7/12) Bordeaux (13 au 15/12) Tarbes (19/12)

18:10 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer

06/10/2006

Gardien dans la nuit

Deux frères engagent un gardien. Qu’y a-t-il vraiment à garder dans cet immeuble qui prend la pluie et les courants d’air ? Qu’y a-t-il à dérober dans le capharnaüm entassé par le frère aîné, un grand taiseux très calme, qui doit réparer le toit, mais s’acharne pour l’instant sur un grille-pain hors d’usage ? Pourquoi le jeune frère colérique prétend-il habiter avec son frère, alors qu’ils ne s’adressent pas la parole ? Pourquoi ce clochard, que l’aîné ramène un soir, a-t-il une double identité ? Autant de questions qui ne seront pas résolues. Car l’univers de Pinter est tissé de ces mystères.

Créé par Jacques Dufilho, il y a plus de trente ans, Le Gardien reste énigmatique. C’est pourtant une des œuvres de Pinter les plus jouées en France. Il faut dire que le rôle du gardien est fascinant.

Robert Hirsch donne une fragilité au vieil homme bousculé par la vie. Il ne sera pas un Boudu sauvé des méchants du dehors, ni un servant  pervers. Juste un homme égaré et plaintif, jeté dans la nuit. On sait l’importance de la paire de chaussures qu’il réclame pour aller à Sitcup, mais c’est à peine si Robert Hirsch regarde celles qu’on lui propose. Il est ailleurs, enfoncé dans une inquiétude pinterienne qu’il transmet avec une souffrance pudique.

Didier Long, le metteur en scène joue sur les oppositions avec un Samuel Labarthe athlétique qui interprète le frère aîné tout en douceur, face à Cyrille Thouvenin le jeune frère, frêle et tout en nerfs. Le décor de Jean-Michel Adam, les lumières de Gaëlle Malglaive entretiennent la détresse des protagonistes, et l’angoisse qu’ils suscitent résonne comme l’appel d’une voix dans la nuit.

 

Le Gardien de Pinter

Théâtre de l’Oeuvre

 01 44 53 88 88

 

15:15 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer

Fin de vie

Ce n’est pas la fin du monde, mais c’est la fin de l’humanité. Un serviteur sans âge, Clov (Gilles Arbona) claudiquant et grincheux, sert un maître aveugle et cacochyme, Hamm (Thierry Bosc) dont il est le souffre-douleur. Les fenêtres haut perchées ne donnent pas de lumière, tout est gris et les jours et les nuits. Les géniteurs Nagg (Georges Ser) et Nell (Marie-France Audollent) gisent dans des poubelles en attendant leur fin. Le mot espoir ne fait plus partie du vocabulaire.

Le décor de Giulio Lichtner respecte les intentions de Beckett à la nuance près. Bernard Lévy conçoit l’espace comme l’ergastule d’où personne ne sortira plus jamais. Et les déambulations de Clov sont vaines. Mais tout le dérisoire de son agitation, la parole vide de l’infirme, la répétition de leurs rites de survie provoquent pourtant le rire car les comédiens, mus par la contrainte, s’emparent avec vigueur d’une langue dévastatrice.  Beckett aurait aimé.

 

P. S. La bible-programme qu’on distribue aux spectateurs est enfin lisible. Une décision dont on doit féliciter le directeur.

 

 

 Fin de partie de Samuel Beckett

Athénée

Jusqu’au 28 octobre

festival Beckett jusqu'au 9 décembre 01 53 05 19 19

 

14:21 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer