26/10/2012
Enchanteur
Nous avions découvert Isabelle George dans From Harlem to Broadway avec la compagnie Victor Cuno. Nous l’avions applaudie dans Le Passe-Muraille puis son hommage à Judy Garland, Une étoile et moi, nous avait enthousiasmés. Sa voix remarquable, son dynamisme en faisait déjà une magnifique meneuse de revue. Nous avions découvert ses talents tragiques avec son Cabaret Terezin, qui nous avait bouleversés.
Elle nous donne aujourd’hui un rendez-vous d’amour, avec Broadway enchanté, qui a triomphé au Théâtre La Bruyère la saison dernière, et que le Théâtre Déjazet reprend aujourd’hui pour notre bonheur.
Vous aimez la comédie musicale ? Pour Isabelle Georges elle est « source de toutes les énergies », « monde où tout est possible ». Avec une formation de quatre musiciens seulement, elle célèbre l’âge d’or des comédies musicales qui ont triomphé à Broadway, et au cinéma, depuis qu’il est devenu « parlant et « chantant ». Les Américains emploient un grand orchestre. Ils ne savent pas qu’avec Frederick Steenbrink au piano (et au chant aussi), Jérôme Sarfati à la contrebasse (et éventuellement au piano), David Grébil à la batterie, Edouard Pennes à la guitare, et une complicité de tous les instants, tout l’univers poétique et burlesque du genre peut être restitué.
Yann Ollivo et Cyrille Lehn ont signé les arrangements, Jean-Luc Tardieu la mise en scène. Oh ! bien sûr, il n’y a pas de décor, mais plein d’accessoires dans la scénographie de Nils Zachariasen. Isabelle Georges ne change pas cent fois de costume, mais Axel Boursier lui a dessiné une adorable robe courte blanche ceinturée et juponnée de rouge (comme ses chaussures) qui met en valeur ses jambes admirables, et, dans les lumières de Douglas Kuhrt, elle chante, danse et claquette.
Et voici Cabaret, La Mélodie du bonheur, Show boat, Top Hat, My Fair Lady, Porgy and Bess, Singing in the rain, Hair, Un américain à Paris, et même l’inoubliable Mary Poppins et son « Supercalifragilisticexpialidocious ».
Broadway en chanté est un enchantement, courez-y, vous qui rêvez de retrouver toutes « ces mélodies qui accompagnent le livre de nos vie ».
Photos : © Lot
Broadway en chanté
Théâtre Déjazet
Du mardi au samedi à 20 h 30
Samedi à 17 h
01 48 87 52 55
17:48 Écrit par Dadumas dans cabaret, Musique, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : théâtre, comédie musicale, déjazet, isabelle georges | Facebook | | Imprimer
17/10/2012
Ne touchez pas à la reine !
Vous ne connaissiez de l’œuvre dramatique de Théophile Gautier que le ballet Giselle, et hormis les adaptations du Capitaine Fracasse et de Mademoiselle de Maupin, vous l’aviez définitivement classés dans la catégorie « poètes », et pensiez qu’il se contentait, au Théâtre, de porter le gilet rouge de la bataille d’Hernani.
Jean-Claude Penchenat va réparer cette erreur et combler nos lacunes en littérature. Il met en scène, une comédie que Théophile Gautier signe avec Bernard Lopez (Non ! ce n’est pas un joueur de football, mais un écrivain du XIXe siècle, 1813-1896).
Du théâtre romantique, on joue surtout les grands drames, mais Gautier a la plume légère, souriante, fine, malicieuse. Ainsi, Regardez, mais ne touchez pas, (initialement titré Ne touchez pas à la reine) parodie aimablement la situation de Ruy Blas, et termine l’argument en comédie.
Il s’agit de la Reine d’Espagne, Elisabeth Farnèse (Chloé Donn ou Jeanne Cogny) qu’une étiquette sévère et paradoxale protège. Ainsi, le jour où son cheval s’emballe, elle est en grand danger, il convient de lui porter secours, mais sans la toucher ! Car celui qui enfreint la règle risque la mort. La suivante de la Reine, Doña Beatrix d’Astorga (Flore Gandiol), promet sa main au brave qui s’y risquera. Le capitaine Don Gaspar (Alexis Perret) n’a pas eu besoin de cet enjeu pour porter, instinctivement secours à sa souveraine « en dehors de toutes les règles établies. » Il a arrêté le cheval, déposé la Reine évanouie sur un lit de gazon, et se cache quand les secours arrivent. Personne ne sait qui il est. Un jeune fanfaron, Don Melchior de Bovadilla (Damien Roussineau), « grand seigneur méchant homme », neveu du cauteleux comte de San Lucar (Samuel Bonnafil), prétend être l’auteur de cet acte de bravoure. Ça tombe bien, puisque San Lucar veut le marier à Beatrix, et que « on peut bien quelquefois se désister de la rigueur des principes en faveur d’un parent. »
Mais l’étourdi Matamore accumule les erreurs, s’empêtre dans les quiproquos, et se retrouve contraint d’épouser Griselda (Judith Margolin ou Sarah Bensoussan), une « simple fille d’atour », heureusement « pas laide ». Quant à Don Gaspar, amoureux de Beatrix, il aura brisé par son courage la barrière sociale qui le séparait de sa belle.
La pièce, créée le 20 octobre 1847 à l’Odéon a du succès. Victor Hugo qui n’a pas encore vu la pièce (Adèle, après François-Victor a contracté la typhoïde) écrit à son ami Théo : « J’entends dire de toutes parts que votre pièce est ravissante. » (22 octobre 1847).
Pourquoi diable ne fut-elle jamais rejouée ?
Pour raconter son Voyage en Espagne, Gautier avait créé un personnage Désiré Reniflard, voyageur candide et vaniteux. Jean-Claude Penchenat l’introduit avec intelligence, dans la narration sous forme du régisseur-souffleur-figurant, sorte de conteur pré-brechtien, qui ajoute de l’ironie à une pièce déjà pleine d’humour. Son décor minimaliste, ses accessoires moqueurs, ses chorégraphies fantaisistes donnent à la pièce un rythme de commedia dell’arte. On rit à chaque clin d’œil, on savoure les bons mots et le burlesque de l’ensemble. C’est délicieux…
Gautier, comme Hugo lutte contre le théâtre bourgeois, et s’il mélange le genre romanesque et le genre dramatique, c’est qu’il combat vaillamment le genre ennuyeux. Hugo, qui connaît par cœur les vers du Pierrot Posthume, créé au Vaudeville au début de l’année 1847, n’osera ce ton que dans le Théâtre en liberté... quelque vingt ans plus tard.
Sacré Théo !
Photos © Lot.
Regardez mais ne touchez pas de Théophile Gautier et Bernard Lopez
Au Lucernaire
Du mardi au samedi à 21 h 30
Dimanche 15 h
Jusqu'au 20 janvier
21:12 Écrit par Dadumas dans humour, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : théâtre, littérature, lucernaire, penchenat, gautier, hugo | Facebook | | Imprimer
04/10/2012
Redevenir humains
Imaginez deux informaticiens surdoués, Charline (Juliette Poissonnier) et Arthur (Guillaume Marquet). Ils viennent de gagner le grand concours international des logiciels, et ils s’apprêtent à aller chercher leur récompense à Versailles où le Conservateur (François Raffenaud) les attend avec de gentils sponsors plus ou moins cyniques : Jacques Servié (Jean Charles Rieznikoff), Bernard Pinaud
(Alain Gautré), un artiste Paul Magamé (Tony Mpoudja), et une drag queen, Bugz (Joe Sheridan).
Et soudain, l’ordinateur quantique s’éteint, l’écran disjoncte, la souris devient araignée, les deux jeunes savants sont transformés en chimpanzés, et « le bug envahit le monde »…
Ne dites pas que vous n’y aviez jamais pensé, quand vous voyez vos frères humains, l’œil rivé à des écrans, le pouce sur la touche de leur téléphone, l’index sur la touche « entrée » de leur ordinateur ou de leur tablette numérique.
Jean-Louis Bauer et Philippe Adrien poussent très loin le délire angoissant dans Bug, une nouvelle pièce qui divise la critique et laisse les spectateurs suffoqués. Sur le plateau, treize comédiens, et une vingtaine de rôles. Pas un temps mort. Un rythme à couper le souffle. Des personnages étranges comme ce Bugz, bisexué, assassiné, mangé et ressuscité. N’y voyez aucune allusion à une religion, quelle qu’elle soit, mais une métaphore de notre monde qui dévore ses créatures et leurs créations.
Un savant sans conscience Gunther (Stéphane Dausse) rate ses clones, Gunther 2 et 3 (Laurent Ménoret) mais affirme « faire progresser la science.» Une Allemande, Inge (Katarzyna Krotki), bourrelée de remords, rend visite à une vieille dame juive, Juliette, (Bernadette Le Saché) qui perd la mémoire, mais garde son bon sens. Michael Jackson (Pierre Lefebvre), plastiné se promène avec Jean Genet (Laurent Menoret), Houellebecq (Alain Gautré) et Jeff Koons (Stéphane Dausse), un jeune noir, Cassius (Pierre Lefebvre) rêve de devenir footballeur. Paul découvre l’horreur du Rwanda, Maria (Manon Kneusé) les perversités des laboratoires.
La sarabande infernale traverser le temps et les espaces, toujours à l’abri de son « écran », toile transparente tendue entre le public et la scène, dont les effets de verre dépoli, de nuées, de brumes, de « neige », de courts-circuits, fascinent les spectateurs. Sur le décor de Jean Haas, les vidéos d’Olivier Roset assisté de Michaël Bennoun, projettent des images et des textes, et les lumières de Pascal Sautelet assisté de Maëlle Payonne, la musique et le son de Stéphanie Gibert construisent un univers fantastique, que renforcent les maquillages de Sophie Niesseron, les accessoires d’Erwan Creff, les costumes de Cidalia Da Costa.
Jean-Louis Bauer aime ces parcours entrecroisés, ces subtiles dérives, ces rencontres improbables qui illustrent la folie du monde, la transgression, la régression. Philippe Adrien exploite toutes les techniques pour donner au texte qu’il cosigne une diabolique trajectoire. Une gageure, une réussite. Les portes des armoires s'ouvrent sur des jardins, des couloirs incertains, et conduisent sur de hauts plateaux, au bord de l'abime. Juliette Poissonnier et Guillaume Marquet sont prodigieux dans leur quête désespérée.
« Comment on fait pour redevenir humain ? », demandent les deux protagonistes. C’est la question essentielle d’une pièce plutôt pessimiste sur l’avenir de l’humanité.
Mais peut-être, vous, y verrez-vous un autre message.
Photos : © Antonia Bozzi
Bug ! de Jean-Louis Bauer et Philippe Adrien
Théâtre de la Tempête
jusqu’au 27 octobre
01 43 28 36 36
Du mardi au samedi à 20 h, dimanche à 16 h
23:14 Écrit par Dadumas dans Histoire, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : théâtre, bauer, adrien | Facebook | | Imprimer