24/09/2015
Des poulets ? Non des coqs !
Alfonso Baron en blanc et Luciano Rosso en rouge, ne se parlent pas. Ils miment.
Que miment-ils? La rivalité ? L'émulation? L'entente ? Tout cela, et peut-être plus.
Car s'ils ne se parlent pas, ils entrent vite en compétition. Mis en scène par Hermes Gaido, ils s'observent, ils se jaugent, ils s'affrontent et leurs sens s’excitent. À force de libérer leurs énergies, celles de la libido jaillissent et s'élancent.
Ils font bouger leurs muscles, déboîtent leurs épaules, paradent. Ils dansent mais leur "pas de deux" vire au match de catch. Ils s'apaisent, se séparent, et tandis qu'ils s'épongent, l'un écoute la radio (en direct nous dira-t-on), l’autre, l’œil vif guette ses faiblesses et le provoque comme un petit coq agressif. Ils s’étreignent. En Argentine, d'où ils viennent, le « Poyo rojo » est un "poulet rouge". Et le terme de "poulet", chez nous, paraît castrateur quand on voit ces deux coqs que le désir rattrape.
Cette "dialectique du jeu de la séduction" est parfaitement réglée et devient une chorégraphie épatante signée Luciano Rosso et Nicolas Poggi.
Le public se plaît à cette comédie sans parole, qui extravague, sort des scènes apprivoisées de nos théâtres et brave les clichés.
photos © Paola Evelina
Poyo Rojo
Spectacle présenté à Avignon 2015, leur tournée aboutit à Paris.
au Théâtre du Rond-Point
jusqu'au 15 octobre à 18 h 30
01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr
19:14 Écrit par Dadumas dans Blog, danse, humour, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, teatro fisico, rond-point | Facebook | | Imprimer
07/09/2014
La vie de bureau
Depuis le triomphe de Plus si affinités (2008), Mathilda May multiplie les expériences théâtrales.
La dernière s’appelle Open Space, que nous traduirions par « bureau ouvert ». Vous connaissez certainement cet espace sans cloisons où six personnes, et plus, sans affinités, travaillent devant leur ordinateur, où les bruits se chevauchent, les conversations s’entrecroisent, où chacun peut épier l’autre, où nul secret ne peut être dissimulé, et où nulle intimité n’est permise.
Oh ! Bien sûr les concepteurs ont aménagé un lieu de détente, à jardin, autour de la machine à café trop bruyante, et à cour, une cage, vitrée évidemment, où on peut fumer entre intoxiqués (scénographie Alain Lagarde). Au centre, l’ascenseur déverse chaque matin, le jeune loup ambitieux (Loup-Denis Elion), la pulpeuse secrétaire (Stéphanie Barreau) dont les hauts talons rouges claquent à chaque pas, l’employé affairé (Gabriel Dermidjian) rond et anxieux, l’adjoint mal réveillé (Emmanuel Jeantet) qui traîne et rêvasse, la timorée (Agathe Cemin) à qui on refile les dossiers supplémentaires sans qu’elle ose protester, et la maîtresse femme (Dédeine Volk-Léonovitch) qui boit en douce pour se donner de l’assurance (costumes Valérie Adda). Et enfin, le chef (Gil Galliot) qui interdit les communications personnelles, surveille les écrans, aboie, flatte, courtise, apparaît, disparaît, menace ses subordonnés, mais fait le gros dos quand sa compagne téléphone et débarque.
Chacun s’agite, espère, s’inquiète, aime, souvent en vain, et quelquefois en meurt.
Vies ordinaires, cadencées par les réalités sonores amplifiées, et les fantasmes embrasés de lumières (Roberto Venturi ). Pas de texte, mais des sons, borborygmes, grommelot, (sound design : Sylvain Brunet), de la musique, des chants, des chorégraphies (Caroline Oziol, Pole Dance Paris), et une mise en scène réglée avec maîtrise par Mathilda May qui signe aussi la musique avec Nicolas Montazaud.
Le pari est osé mais tenu, car il n’y a plus de mots pour ce monde du travail cruel et mesquin. Et tout est montré, vécu, avec talent.
Open Space conception et mise en scène de Mathilda May
Collaboration artistique Jean-François Auguste
Théâtre du Rond-Point
01 44 95 98 21
Jusqu'au 19 octobre 2014, 21h
Serge FRYDMAN
17:56 Écrit par Dadumas dans Blog, danse, humour, Musique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, mathilda may, rond-point, musique, danse | Facebook | | Imprimer
05/12/2011
Maudites initiales
Les deux « H » sont de toute beauté. L’artiste qui les a dessinées, modelées, sculptées, fondues, a accompli un chef d’œuvre. Elles resplendiront au fronton du collège que le conseil va inaugurer la semaine suivante.
Mais… le nouveau conseil n’est pas d’accord sur le choix du nom : « Heinrich Heine », car il ne fait partie « d’aucune sommité locale ». Il vaudrait mieux le « nom glorieux d’un de nos éminents natifs ». Que faire alors de ces maudites initiales ?
« Je proteste dit l’un. « Je désapprouve », dit l’autre. Le président (Jean-Paul Farré) insiste.
Or, il y en a bien quelqu'un qui est « fils de notre cité »: il s’agit de Heinrich Himmler. Malheureusement, pour certains il est « le plus grand criminel du XXe siècle ». Mais d’autres ne voient en lui qu’une « sorte d’Européen ». Et puisqu’il faut « affronter notre passé en face », pourquoi ne choisir son nom, puisque ses initiales correspondent à l’œuvre de l’artiste ?
Au nom de la démocratie, on débat, on pèse les actions, prépare les dossiers. Heinrich Heine, poète romantique, ironique, rebelle à l’ordre établi, « géant le la littérature », face à Heinrich Himmler, « témoin d’une époque », et fameux « épistolier » dont les circulaires péremptoires firent un « criminel capital. »
Au cours d’une assemblée extraordinaire, a lieu la lecture comparative du florilège des œuvres !
Peut-on les comparer sans honte ? Sans entonner « le grand chant des renoncements avec lequel on endort les peuples » ? Ceux qui protestaient se tairont vite, d’autant que les autorités de tutelle ratifient les résolutions de la base…
Jean-Claude Grumberg signe une œuvre grinçante, qu’il met en scène frontalement.
Autour de Jean-Paul Farré, s’agitent Salima Boutebal, Olga Grumberg, Joseph Menant, Christophe Vandevelde, pantins d’un consensus blet. Gens médiocres, lâches, imbus de leurs prérogatives, ils se gargarisent de phrases toutes faites, et barbotent dans le marais du conformisme.
Le ton est celui de la farce, mais dit Jean-Claude Grumberg, « demain, qu’en sera-t-il de notre mémoire qui déjà, semble indisposer un si grand nombre de belles âmes ? » Qu’en sera-t-il lorsque l’enseignement de l’Histoire aura disparu ?
H. H. de Jean-Claude Grumberg
Théâtre du Rond-Point
jusqu’au 24 décembre, 21 h.
17:55 Écrit par Dadumas dans culture, Histoire, langue, Littérature, Livre, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, histoire, littérature, culture, grumberg, farré, rond-point | Facebook | | Imprimer