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28/01/2011

Délirant !

On nous annonçait un « spectacle chic et décalé », dont le titre Amor, amor à Buenos-Aires évoquait les succès de Tino et de Dalida.

« Chic » ? En effet, Michel Dussarat s’est surpassé dans les costumes.  Ottavia la Blanca (Sébastiàn Galeota) et Yolanda (Laura Lago) dansent et chantent dans des atours sans cesse renouvelés. comédia,comédie musicale,stéphane druet,michel dussarat,homosexualitéLes danseurs : François Beretta, Fanny Fourquez, Tiago Olivier, Sarah Zoghiami changent aussi de tenue à chaque tableau. Les paillettes brillent, les satins caressent, les couleurs chatoient, comme dans ces revues qui ont laissé des étoiles dans les yeux des spectateurs de music-hall.

Et quant à être « décalé », il est même si « délirant » que les âmes prudes le jugeront sûrement « décadent » ! Car, dans la modeste pension de famille que tient Alba (Mona Heftre), dans ce quartier populaire de Buenos-Aires, (décor de roberto Platé), il se passe des choses que la morale bourgeoise réprouve !

La grand-mère, Zulma (Stéphane Eloy), partage l’herbe qu’elle fume. Elsa (Cécilia Filippi) et Claudia (Emma Fallet) ses deux petites-filles obsédées par le bel Alvaro (François Briault), plongent dans une dévotion inquiétante et l’arrivée d’Ottavia va précipiter les choses ! Accompagné(e)  par Pedro (Salem Sobihi), son « garde du corps », suivi (e) par Yolanda, elle ( ?) révèle qu’elle est le fils qu’Alba a chassé dix ans plus tôt, pour cause d’homosexualité. Et comme Alba tombe amoureuse de Yolanda, que Zulma tue le mari d’Alba (Coco Dias), que les deux (presque) vieilles filles veulent absolument connaître l’amour, dans le grand chassé-croisé des personnages, le spectateur se perd avec délices.

Formidable élan vital,  la comédie musicale de Federico Mora l’Argentin, mise en scène par le Français Stéphan Druet qu’on avait déjà apprécié pour Docteur Ox, Ta bouche, Toi, c’est moi et adoré pour Audimat place le spectacle entre Cosi fan tutte et Femmes au bord de la crise de nerfs. Romances, tangos et parodies, s’enchaînent, soutenus et portés par des danseurs-chanteurs-comédiens extraordinaires…

Vive l’amour libre, à Paris ou à Buenos-Aires !

 

 


 

photo © Bernard Richebe

 

 

Amor, Amor à Buenos-Aires de Federico Mora

créé l'été dernier à l'Hôtel Gouthière

Théâtre Comédia

01 42 38 22 22

www.theatrecomedia.fr

 


 

 

 

 

21/01/2011

Accordez vos violons

 

 

 

 

Tandis que les instruments s’accordent dans cette assourdissante rumeur qui prélude aux plus belles œuvres, le chef d’orchestre (Victor Haïm) entre pour une dernière répétition. Le chef ne mâche pas ses mots. Il est en « fureur ». Ce ne doit pas être nouveau, puisque ses musiciens l’ont surnommé « führer » au lieu de « maître ».

On apprend rapidement qu’ils ont pétitionné pour « se débarrasser » de lui. Et le torrent des reproches et des souvenirs cascade sur le « troupeau de radis creux », de « perroquets déprimés », « pythons papelards », « scrofuleux névrotiques », et autres mignardises dont il gratifie tous les instrumentistes. HaimScène3.JPG

Il a du vocabulaire le chef ! Et il obéit toujours aux préceptes de sa maman qui lui a dit un jour : « même quand tu insultes, reste poli ! ». Ce qu’il fait. Leçon de morale sur la délation, leçon de grammaire à propos des lettres idoines, leçon de musique aussi. Entre les mesures de La Pastorale de Beethoven qu’il décortique, le chef divague… Les grands musiciens, le « peuple élu » (« mais n’a-t-on pas truqué les élections ? »), la misogynie des uns, la médiocrité des autres, ses fantasmes, et l’inculture des commanditaires qui confondent Traviata et Travolta, Butterfly et Bitterfly, Pelléas et Mélisande avec Ménélas et Palissandre, tous ses griefs surgissent, et il déverse sa hargne jusqu’au paroxysme.

Le comédien est l’auteur de cette philippique. Mélomane par goût, il rage contre ces snobs qui admirent la musique à « la façon des gens du monde », avec « ce goût frivole qui est une des formes du mépris »*. Il règle ici des comptes, sans désigner personne. Xavier Jaillard l’a mis en scène avec simplicité : un pupitre, une baguette, et une sono bien travaillée. Efficient !

Le chef agresse et digresse. Il atteint la démence. Mais ne craignez rien, seul le rire est contagieux. Et les spectateurs déraisonnent avec lui, trop heureux de retrouver la force de cette prose caustique et lucide. Allez vite « accorder (vos) violons » avec lui !

 

 

 

 

 

 

* Saint-Saëns.

 

Fureur de et avec Victor Haïm

Petit-Hébertot

du mercredi au samedi, 19 h

dimanche à 15 h

01 42 93 13 04

depuis le 12 janvier

16/01/2011

La traversée du mal


Quel bon père de famille (Jean-Jacques Moreau) ! Comme il est attentionné avec sa femme (Judith Magre), combien il s’inquiète de sa fille barricadée dans la cave !  Il a bien le regard un peu torve quand il en parle, mais comment le soupçonner de séquestrer l’adolescente ? Évidemment, quand on apprend qu’elle a dix-sept ans, qu’elle est muette, qu’elle ne sort jamais, mais qu’elle allaite un nouveau-né dont on ne connaît pas le père, on a des doutes…

Mais on n’ose pas y croire…

Alors Le Loup (Pierre Notte) entre, et accuse. Il est outré qu’on ose prétendre que « l’homme est un loup pour l’homme ». Il a des principes et une morale : « Il arrive qu’un loup soit un homme pour les louves », mais, lui ne ferait pas « ça » à ses filles ! Et la mère ferme les yeux pour ne pas voir, se bouche les oreilles et chante pour ne pas entendre ce qui se passe quand le père descend à la cave…

Inspiré par l’affaire Josef Fritzl* Et l’enfant sur le loup est un conte cruel écrit par Pierre Notte pour la scène. Patrice Kerbrat le met en scène comme un théâtre de tréteaux. qui aurait intégré le conteur brechtien. Le loup, vêtu d’un  manteau de fourrure et coiffé d’un haut de forme, tourne autour d’une estrade où est juchée une « roulotte » aux murs fleuris. Il commente, il explique, il juge. Rien n’est montré du crime, mais une lueur aveuglante  surgit d’une trappe que le père ouvre, et on est saisit d’effroi.

La situation bascule quand il nous annonce que sa fille s’est enfuie avec l’enfant. Nous ne la verrons jamais. Le loup raconte que « l’enfant grandit », qu’il « marche longtemps ». Et soudain, il est là, un bel adolescent (Julien Alluguette) qui regarde le loup sans trembler et qui refuse de « se laisser intimider par des contes pour enfant ».

Le loup ne dévore pas l’enfant, il a trop d’humanité en lui. L’enfant, lui ne connaît que la violence et la faim. Dans sa traversée du mal, il n’a pas appris la pitié qui est "une affaire d'éducation". Il se jette sur lui. Le loup est donc  « nettoyé, vidé de sa chair », et tel un Christ en croix accepte le sacrifice. L’enfant ne s’arrêtera pas là dans sa vengeance.

Il n’est ici question ni de rédemption, ni de pardon. Mais de montrer les monstres et de dire au public : « et vous ? ».

Pierre Notte, comme un fauve, jette une prose sauvage, chante aussi, et se meut, tout en nerfs, écorché par une sensibilité ardente qu’il transmet à Julien Alluguette. Judith Magre et Jean-Jacques Moreau, prennent la pesanteur de ceux que le crime englue. Tout transpire l’angoisse et l’épouvante dans un cadre où l’harmonie des couleurs, l’élégance du kimono de la mère, les gestes tendres du Père, la distinction du loup, la jeunesse de l’enfant devraient rassurer.

Le spectateur sort troublé, réfléchira-t-il au monstre qui sommeille en lui ? Ouvrira-t-il les yeux sur les asservissements qu’il protège par son silence ?

 

 

 

 

 

* Elisabeth Fritzl, a été séquestrée par son père, Josef Fritzl, pendant 24 ans à Amstetten en Autriche. Violée depuis l’âge de 11 ans, elle a eu sept enfants. Sa mère « n’a jamais soupçonné son époux » (les journaux).

 

 

Et l’enfant sur le loup de Pierre Notte

Théâtre du Rond-Point,  21 h

01 44 95 98 21