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28/05/2015

Rostand a du génie

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Monter Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand avec sa vingtaine de rôles et ses figurants,  suppose une troupe nombreuse. Et comme, de plus, il y a un changement de décor à chaque acte, avec un théâtre dans le théâtre à l’acte I, une pâtisserie en ordre de marche au II, une maison avec balcon au III, un bivouac avec des mousquets, des canons, un carrosse qui entre en scène au IV, un cloître avec jardin au V, des costumes en abondance, des accessoires en nombre, la représentation exige des moyens que seuls les grands théâtre nationaux peuvent encore apporter. Et pourtant…théâtre,théâtre 14,cyrano,edmond rostand,benoit solès,henri lazarini

Henri Lazarini vient de signer une mise en scène sobre et dynamique, colorée et romantique sans balcon, sans carrosse, avec treize comédiens, et le jeune public qui vient en rangs serrés écouter du Rostand, en reste muet d’admiration. Et nous, qui affichons volontiers des mines blasées, nous partageons son émotion !

D’où vient que depuis sa création en 1897, le triomphe de Cyrano de Bergerac ne s’est jamais démenti ? De son héroïsme revendiqué à l’heure des compromissions ? De sa curiosité scientifique ? De sa verve poétique et sa « burlesque audace »[1]? De son ironie cinglante envers les gens en place ?  On a eu beau nous expliquer que ce bretteur intrépide était un homosexuel notoire[2], on préfère qu’il soit l’amoureux platonique de Roxane. On nous a dit que ses bravades ont un côté cocardier démodé et franchouillard. Mais on l’aime comme aurait dû l’aimer Roxane…

théâtre,théâtre 14,cyrano,edmond rostand,benoit solès,henri lazariniHenri Lazarini choisit de le montrer d’abord en Rostand lui-même (Benoit Solès), devenant Cyrano au fil de sa plume. Tel Ferruccio Soleri[3] faisant glisser le masque  d’Arlequin, de son front à son nez, il entre alors en scène pour interdire Montfleury (Michel Baladi). Et la machine théâtrale est lancée pour deux heures de prouesses. Benoit Solès est magnifique. Fougueux devant les périls, stoïque devant un Christian effronté (Vladimir Perrin), pudique devant une adorable Roxane (Clara Huet), il est éblouissant. L’apogée de son interprétation sera sans doute ce dernier acte crépusculaire, où il retrouve, quinze ans après le siège d’Arras, une Roxane douloureuse, corsetée dans son deuil, bouleversante Geneviève Casile qui joua ce rôle au Français aux côtés de Jean Piat. Sublime idée que de montrer ainsi le passage du temps et d'évoquer le vers de Rosemonde Gérard, l'épouse-amante  de Rostand  qui se demande si l'amour durera encore : « Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs. »

théâtre,théâtre 14,cyrano,edmond rostand,benoit solès,henri lazariniEt les autres comédiens ? Vladimir Perrrin (Christian) est charmant comme il se doit. Michel Melki donne un Ragueneau sensible et attentionné. Émeric Marchand joue un Le Bret fraternel, Emmanuel Dechartre, un Comte de Guiche rageur et blessant, Jean-Jacques Cordival, le capucin naïf qui marie Roxane et Christian. Puis viennent ceux qui jouent de multiples rôles, Lydia Nicaud (ou Christine Corteggiano), en duègne, puis Mère marguerite, Anne-Sophie Liban, la coquette Lise qui devient Sœur Marthe au dernier acte,  Julien Noïn, et Pierre-Thomas Jourdan, marquis, cadest, pâtissiers ou poètes, tous impeccables, le ton juste.

théâtre,théâtre 14,cyrano,edmond rostand,benoit solès,henri lazariniLa scénographie de Pierre Gilles dresse au proscenium deux espaces mémoriels : une loge de théâtre, à cour, et à jardin, le cabinet de travail de Rostand avec une photographie de Sarah Bernhardt, et un plan du Voyage dans la lune de Méliès qui servira d’illustration au récit de Cyrano à l’acte III. Peu d’accessoires et Cyrano se bat sans épée ! Il n’y a pas de balcon non plus mais cependant tout fonctionne, le spectateur est pris, subjugué, ému aux larmes.

Il y a dans le rouge des costumes de Roxane et des petits marquis, la provocation de la préciosité, dans ceux des cadets une réminiscence des bicolores signés Léon Gischia, et c’est peut-être aussi pour ces souvenirs-là qu’on a envie de dire : « Rostand a du génie et Christian était beau ».

 

Photos © LOT

 

Cyrano de Bergerac  d’Edmond Rostand

Jusqu’au 4 juillet

Théâtre 14

01 45 45 49 77



[1]- Boileau Nicolas, Art poétique, IV.

[2]- Dans le Banquet d’Auteuil de Jean-Marie Besset.

[3]- Acteur du Piccolo Teatro de Milan, il joua Arlequin serviteur de deux maîtres  de Goldoni sous la direction de  Giorgio Strehler.

 

07/04/2015

Qui paye ses dettes ?

 

 

Théâtrte, Littérature, Théâtre de la Ville, Balzac, Demarcy-Mota, Maggiani.Balzac avait des dettes :

 « Quel est l’heureux homme de ce siècle, qui à la suite de la déroute  politique et de la banqueroute, des émigrations, des confiscations, des réquisitions, des appréhensions, des épurations et des invasions qui ont renversé toutes les fortunes, a toujours pu dire : Je ne dois rien ?... Quelle  nation,  assise  sur  des  monceaux  d’or  aujourd’hui, pourrait  dire : je ne serais jamais débiteur ?...

Notre  jurisprudence  reconnaît  vingt-six  natures de  dettes. » […]

Vous avez des dettes ?

 « Il est évident que le monde ne se compose que de gens qui ont trop et de gens qui n’ont pas assez ; c’est à vous de tâcher de rétablir l’équilibre en ce qui vous  concerne.

Ce qui est dans la poche des autres serait bien mieux dans la mienne !

Ôte-toi de là que je m’y mette !

Tel est, en peu de mots, le fond de la morale universelle. »[1]

Emmanuel Demarcy-Mota a mis en scène Le Faiseur  de Balzan. Sa version scénique est éblouissante, et la troupe qu’il dirige époustouflante. Toujours en équilibre instable dans un décor chaotique qui monte et descend comme les cours de la Bourse. Une trouvaille !

Monsieur Mercadet (Serge Maggiani) a des dettes et il s’en vante :

« Savez-vous pourquoi les drames dont les héros sont des scélérats ont tant de spectateurs ? C'est que tous les spectateurs sortent flattés en se disant : moi, je vaux encore mieux que ces coquins-là. Qu'y a-t-il de déshonorant à devoir ? Est-il un seul État en Europe qui n'ait pas sa dette ? »[2]

La pièce se joue à guichets fermés ?  Réclamez une reprise, une prolongation Lisez-la ! Et étudiez-la !

 

 

Le Faiseur de Balzac

Théâtre de la ville/ Théâtre des Abbesses

jusqu'au 11 avril.

 



[1]- In L’Art de payer ses dettes d’Honoré de Balzac.

[2]- Le Faiseur de Balzac, collection Théâtrede la Ville, 12 €

06/04/2015

Un surprenant malade

 

 

théâtre,théâtre de l'atelier,daniel pennac,humour,olivier saladinIl est toujours délicat d’adapter pour la scène, une œuvre qui a été conçue pour la lecture. Ancien malade des hôpitaux de Paris est d’abord un court roman de Daniel Pennac où le docteur Galvan, urgentiste de garde, vit une nuit d’apocalypse.

Un patient qui « ne se sent pas très bien », présente les uns après les autres, tous les symptômes de maladies mortelles. Le Docteur Galvan le trimballe à toute allure dans tous les services, avant de… Mais gardons-nous de dévoiler la fin.

Combien de personnages ? Une trentaine dans le roman. Combien de comédiens sur scène ? Un seul, Olivier Saladin, véritable génie comique.

Il est tour à tour le Dr Galvan et sa compagne, tous les pontes de la chirurgie qui épient et commentent son diagnostic et ses capacités, l’infirmière de garde et le brancardier, l’anesthésiste et le patient, sans compter les malades de la salle d’attente où « ça sentait la douleur humaine » et la médecin légiste de la morgue.théâtre,théâtre de l'atelier,daniel pennac,humour,olivier saladin

Il prend des accents différents, des phrasés distinctifs, des gestes particuliers pour incarner tous ces gens.

Il est extraordinaire.

La mise en scène de Benjamin Guillard est sobre et pleine de surprises.  Le texte de Daniel Pennac aussi. Et les spectateurs sont tout aussi médusés que les médecins mais s’amusent beaucoup plus !

 

 

 

Photo : © Emmanuel Noblet

 

Ancien malade des hôpitaux de Paris de Daniel Pennac

Théâtre de l’Atelier

 01 46 06 49 24

depuis le 21 mars 2015


du mardi au samedi à 21h - Dimanche à 15h (Relâches exceptionnelles les 12 et 13 mai)