29/05/2015
Naître femme
Antonio Maria Benavides est mort. On entend, tout près, le glas lancinant (Musique originale et réalisation sonore de Mich Ochowiak).
Il laisse une veuve, Bernarda (Cécile Brune) et cinq filles, pas très jolies. Angustias (Anne Kessler), fille du premier mariage de Bernarda a près de quarante ans, mais une belle dot. Les autres, devront se contenter de peu : Amelia (Claire de la Ruë du Can), Magdalena (Coraly Zahonero) qui était la préférée du père, Martirio (Jennifer Decker) la bossue, et Adela (Adeline D’Hermy) la plus jeune qui, pour fêter ses vingt ans s’était cousu une belle robe verte. Mais le deuil veut qu’elles portent toutes du noir (costumes d’Agnès Falque), et la mère exige qu’elles soient claquemurées pendant huit ans ! La maison de Bernarda devient une prison pour femmes. La Maison de Bernarda Alba de Garcia Lorca porte en sous-titre « Drame des femmes dans les villages espagnols ».
Un « tyran » cette Bernarda ! Pour elle, tout plaisir est péché. Elle dirige tout : « Elle ne veut personne sur son territoire », implacable sur le sujet de la religion et donc de la virginité des filles, elle ne pardonne rien, mais écoute avec une complaisance obscène les ragots dont La Poncia (Elsa Lepoivre) l’abreuve.
Les recluses sont condamnées à « ne jamais voir aucun homme. » Dans cet univers clos, seules sont admises les femmes. D’abord la gouvernante, La Poncia qui sert Bernarda depuis trente ans, et la juge « maudite », la Servante (Claude Mathieu) soumise a ses lois, la vieille mère, Maria Josefa (Florence Viala) enfermée à double tour dans sa chambre parce qu’elle perd un peu la tête, et une parente, Prudencia ((Sylvia Bergé) en visite dans la maison devenue cloître.
Dedans, c’est la tristesse, la mesquinerie, la surveillance constante, les rosaires et les oraisons.
Dehors, c’est la vie, dehors, c’est le soleil, les chants des moissonneurs, les danses des villageois, et Pepe le Romano (Elliot Jenicot) qui rôde autour des filles, et dont elles sont toutes amoureuses. Officiellement, il vient pour Angustias qu’il a demandée en mariage, et qui est autorisée à s’entretenir avec lui, à la fenêtre, le soir. Mais Magdalena soupçonne qu’il vient surtout pour l’argent. Il a vingt-cinq ans, Angustias quarante, le compte est vite fait ! Magdalena raisonne, Amelia approuve, Martirio est résignée, mais en surveillant Adela, elle s’est aperçue que la plus jeune ne passait pas ses nuits à dormir dans sa chambre…
Garcia Lorca montrait, dans cette pièce, la terrible condition de la femme, victime de la tradition à la fois chrétienne et orientale, qui fait d’elle un être pervers que l’homme doit soumettre et dont il faut se méfier. « Naître femme est la pire des punitions » fait-il dire à La Poncia. Il conçoit une maison entièrement blanche (blanquissima) des salles au patio, des femmes en noir, des allées et venues nocturnes, et l’objet du désir des filles n’est jamais présent, toujours imaginé.
Pour son entrée au répertoire de la Comédie-Française, Lilo Baur met la pièce en scène. Elle choisit de montrer « l’Homme », et de faire évoluer le couple Adela et Pepe, en pas de deux caressant et étreintes sensuelles dans un crépuscule lascif (Travail chorégraphique de Claudia de Serpa Soares, lumière de Fabrice Kebour). Elle accentue la coupure avec le monde en construisant un espace obombré, fermé au fond de la scène, par un claustra gigantesque, grillage noir auquel les filles agrippent leur désespoir, et derrière lequel les hommes passent sans les voir (Scénographie Andrew D Edward). L’angoisse fermente derrière ce moucharabieh qui les séquestre sans voiler les tentations. Nous spectateurs, frappés de terreur et de pitié, attendons la tragédie. Elle est superbe !
Les filles ne dorment plus, les unes épiant les autres, la vieille descend de sa chambre comme la centenaire du film de Carlos Saura[1]et erre dans la cour, un agneau dans les bras, La Poncia contrôle et avertit, et Bernarda tue pour préserver l’honneur.
Pour elle l’essentiel est qu’Adela soit morte vierge et que toutes fassent silence sur ce qui s’est passé.
Mère monstrueuse ? Société terrifiante ? En sommes-nous à jamais libérées ?
Photo © Brigitte Enguérand
La Maison de Bernarda Alba de Federico García Lorca
nouvelle traduction de Fabrice Melquiot.
mise en scène Lilo Baur
Comédie-Française
jusqu’au 26 juillet en alternance salle Richelieu.
0825 10 1680
www.comedie-francaise.fr
16:21 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Littérature, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : théâtre, comédie-française, garcia lorca | Facebook | | Imprimer
18/05/2015
Hugo et Tourguéniev
La rumeur les disait fâchés.
Et il est vrai qu'avant l'exil, Ivan Tourguéniev se faisait l'écho des malveillances que colportaient les hugophobes.
Pourtant ils se sont retrouvés au Congrès littéraire international d Paris sur les droits d'auteur.
Puis Hugo fut invité aux "Frênes" (aujourd'hui Musée Tourguéniev). Et ils s'aperçurent qu'ils avaient des amitiés communes et des idéaux partagés : le combat contre l'esclavage, l'aspiration aux Etats-unis d'Europe.
Musée Tourguéniev, 16, rue Ivan Tourguéniev, Bougival.
Bougival (Yvelines), Musée européen Ivan Tourgueniev, 16 rue Ivan Tourgueniev (En métro : ligne N°1 jusqu’à « La Grande Arche-La Défense » puis Gare routière prendre le bus 258 – direction St Germain – arrêt « La Chaussée-Musée Tourguéniev« ).
18:16 Écrit par Dadumas dans Blog, exposition, Histoire, Littérature, Livre, Musique, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hugo, tourguéniev | Facebook | | Imprimer
10/05/2015
Les murs magiques
Elle (Aurélia Thierrée) est perdue dans ses cartons. Elle doit partir, quitter les lieux où s’entassent des souvenirs encore vivants. Trier ? Choisir ? Jeter ? Elle en est incapable, et ralentit les deux hommes (Antonin Morel et Jaime Martinez) qui gèrent ce déménagement. Et les objets eux-mêmes désobéissent. L’escabeau s’enfuit. Les cartons décampent…
Alors, commence, pour la sans logis, une errance nocturne entre des immeubles branlants, des passages mystérieux, des escaliers sans marches, des places désertes où la guettent des êtres masqués. Elle grimpe le long des façades, elle s’échappe, elle revient dans un « recommencement continuel. »
Danseuse et comédienne, elle poursuit sa quête dans un univers onirique. « J’aime et revendique ne pas être foncièrement définissable. J’aime le flou de ma situation, parce qu’il me permet plus de flexibilité, plus de liberté. D’ailleurs, je ne reconnais pas toujours celle qui entre sur scène de soir en soir » dit-elle.
Et, des flots de plastique translucide surgissent des monstres pleins de tendresse, des silhouettes inquiétantes, des personnages prodigieux, des choses sensibles. Tous glissent, disparaissent, refluent. Tout bouge, tout se transforme, tout s’éclaire, puis s’obscurcit. Les murs sont magiques, la table surnaturelle, le lit ensorcelé, la cheminée enchantée.
La sensation singulière du rêve éveillé plonge le spectateur dans un monde surréaliste, un fantastique poétique proche de celui de Prévert et Carné, à moins qu’il ne s’agisse de celui de… Chaplin.
Nous vous recommandons ce voyage féérique…
Photos : © Richard Haugton
Murmure des murs conception et mise en scène de Victoria Thiérée-Chaplin
Jusqu’au 23 mai, 21h
Théâtre du Rond-point
01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr
14:46 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, danse, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre du rond-point, aurélia et victoria thierrée, fantastique poétique | Facebook | | Imprimer