20/06/2015
Chénier vu par Hugo et Vigny
Vous souvenez-vous que dans nos études, on nous présentait Alfred de Vigny comme un aristocrate « hautain », pessimiste et solitaire, s’isolant volontiers dans une « tour d’ivoire » et dédaignant un peu ses amis romantiques ?
Déjà, mes certitudes avaient été ébranlées en lisant les Mémoires d’Alexandre Dumas qui racontait, comment, pendant qu’il recevait ses invités, le soir de la première Christine, Hugo et Vigny lui avaient corrigé « une centaine de vers empoignés » et avaient réalisé « une douzaine de coupures » avec des mains « habiles et paternelles. »
Eh bien! J’ai appris cette semaine une nouvelle extraordinaire.
Martine Contensou, chargée des manuscrits à la Maison de Victor Hugo, a découvert un manuscrit d’Alfred de Vigny et un article inédit de Madame Hugo consacré au poète après sa mort[1].
C’est donc dans les papiers de Hugo qu’on a enfin retrouvé les vingt-trois premiers vers du Symentha qui manquaient sur le manuscrit. Et on a constaté que l’écriture de Vigny voisinait avec une autre. Devinez laquelle ? Les experts sont unanimes. C’est celle de Victor Hugo ! « Ils ont travaillé conjointement » disent les amis d’Alfred de Vigny.
Ils auraient donc collaboré ! Normal puisqu’ils étaient amis ! Vigny sera même témoin au mariage de Victor ! Ce que les détracteurs de Hugo démentent, et quand on leur présente les documents qui prouvent qu’ils ont tort, ils disent que « le témoin »[2] n’en parle pas. Ce qui est totalement faux !
Mais où la mauvaise foi va-t-elle se nicher ?
L’Association des Amis d’Alfred de Vigny reçue le jeudi 16 juin à 18h30 dans le salon rouge de l’appartement de Victor Hugo, a rétabli les faits et Ferdinand Brunetière qui colportait ces erreurs dans La Revue des deux mondes en 1891, n’a plus qu’à se voiler la face !
Lui qui affirmait aussi : « Joseph de Maistre, Mme de Staël, Chateaubriand, — ajoutons-y Walter Scott, — voilà les maîtres de Vigny, comme aussi bien de toute la jeunesse de son temps. » aurait été bien étonné d’entendre Esther Pinon et Martine Contensou exposer comment Chénier inspira les deux poètes.
Et de nous lire la scène des Misérables,où Luc-Esprit Gillenormand, le grand-père de Marius doit renoncer à sa hargne contre « les brigands » de la Révolution, pour complaire à Marius. Un régal ![3]
Alors, quand devant vous on médira des romantiques, renvoyez les détracteurs aux Amis de Vigny, et aux Amis de Victor Hugo !
http://maisonsvictorhugo.paris.fr
[1]- Tous deux seront publiés prochainement dans le bulletin de l’Association des Amis d’Alfred de Vigny.
[2] - Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, paru en 1863, est écrit par Adèle Hugo, éditions Ollendorf, P. 148. L’autre témoin, pour V. Hugo, est Alexandre Soumet, poète et dramaturge. Ouvrage réédité chez Plon en 1985.
[3]- Lecture assurée par Sacha Petronijevic, comédien, et Sylvain Ledda, universitaire.
18:51 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, éducation, Histoire, Littérature, Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, hugo, vigny, maisons victor hugo | Facebook | | Imprimer
19/06/2015
La reine de Montparnasse
Elle naquit en 1901 dans un « joli coin de Bourgogne ». On l’appela Alice. Sa mère était pauvre, son père était riche. Et comme ce n’était pas un conte de fées, ils ne vécurent pas ensemble. La mère partit pour Paris trouver du travail. Et Alice resta au pays chez sa grand-mère, laquelle élevait comme elle pouvait, les enfants dont la famille ne pouvait pas s’occuper. La soupe était souvent claire, mais elle les nourrissait d’amour.
Quand elle eut douze ans, sa mère se souvint d’elle et la fit venir à Paris pour entrer en apprentissage. Brocheuse, fleuriste, ouvrière (c’est la guerre, on la recrute pour visser des ailes d’avion), là voici bonne à tout faire dans une boulangerie. Cependant, elle est nourrie et logée, c’est mieux que chez sa mère qui « n’était pas faite pour être mère ». Mais comme elle ne supporte pas d’être battue, elle se retrouve à la porte. Qu’à cela ne tienne, elle va poser nue chez un sculpteur, et gagne 5 francs pour 3 heures de pose alors qu’à la boulangerie, elle en gagnait 2 par mois.
Hélas ! Sa mère a des principes et poser nue, c’est être une putain ! Pas de ça chez elle ! En plein hiver, Alice est à la rue, pauvre « grenouille aux souliers percés »[1]. C’est un peintre qui la recueille, il s’appelle Soutine. Elle devient son modèle et celui d’autres peintres. Ils ne parlent pas bien le français : ils la baptisent Kiki, c’est plus facile.
Il y eut quelquefois « retour à la case pieds mouillés dans la neige ». Mais avec une volonté tenace, elle rejoignit la « bande de la Rotonde » où le « papa Libion »[2] lui avait conseillé d’acheter un chapeau[3].
Elle pose pour Gworzdecki, Utrillo, Van Dongen. Elle est l’« inspiratrice » de Foujita, Kisling, Maurice Mendjinsky[4], Man Ray, la compagne d’Henri Broca, et d’autres Montparnos comme on les appelle, ces artistes, peintres, écrivains, sculpteurs, cinéastes. Dans leur vie de bohème à Montparnasse, on ne mange pas tous les jours, mais on boit, on danse, et on se dépêche de rire de tout. Elle est élue « reine de Montparnasse ». Étroit royaume, réduit au périmètre de la Rotonde, la Coupole, le Dôme, le Jockey, avec quelques incursions à Montmartre, quelques voyages vite achevés car, hors Montparnasse, la chance ne lui souriait guère. Royaume éphémère car la guerre dispersa ses amis.
Quand Kiki mourut, en 1953, seul Foujita l’accompagna au cimetière de… Thiais.
Pour cette Fantaise musicale intitulée Kiki, Hervé Devolder s’inspire avec talent des Mémoires de Kiki, recueillies par son dernier compagnon, André Laroque, agent des contributions directes le jour et musicien (accordéon et piano) la nuit.
Milena Marinelli est une Kiki, étonnante de ressemblance avec l’originale. Elle en a aussi la gouaille et l’assurance. Son joli timbre de voix fait merveille dans les chansons tour à tour réalistes ou nostalgiques. Elle est seule en scène et Ariane Cadier au piano, quelquefois, lui lance quelques remarques piquantes. C’est un spectacle enjoué, pétillant d’humour, fluide comme les boissons que Kiki aimait tant.
« Ne s’éteint que ce qui brille » écrivait Aragon. Hervé Devolder a rallumé les projecteurs sur elle.
Photos : © Pauline Marbot
Kiki, le Montparnasse des années folles, de Hervé Devolder
Théâtre de la Huchette
01 43 26 38 99
du mardi au vendredi à 21h
samedi à 16 h
depuis le 17 juin.
14/06/2015
À lire (4)
Connaissez-vous le « Paris des écrivains » ?
Cette petite collection (10,5 x 15) vous invite à suivre les grands écrivains dans les quartiers parisiens où ils ont vécu, écrit, aimé.
Danièle Gasiglia-Laster nous raconte les pérégrinations de Jacques Prévert.
Elle ne joue pas les guides. Elle l’accompagne, lui, le grand poète des humbles, l’admirateur de Paris et des petites gens qui luttent pour y survivre, des amoureux qui s’y rencontrent, des ruelles mal pavées ou mal famées, et du marché aux fleurs.
Et puisque le poète dit « tu à tous ceux qu’(il) aime », elle le tutoie.
Il en aurait souri, et nous sourions avec eux en suivant leurs pas, rive gauche et rive droite, de 1907 à… aujourd’hui.
Car pour elle, comme pour nous, Prévert n’est pas mort. Il continue à regarder les belles filles qui rient, les vieux cons qui ratiocinent et les chiens qui passent, à hanter le Luxembourg et à protester contre toutes les injustices.
C’est une délicieuse promenade, nostalgique et pourtant enjouée et spirituelle. Ce moment de charme rouvre pour nous des pages d’Histoire. Prévert, comme Hugo, était de ceux qui vivent en luttant pour le bonheur des hommes, en se battant contre les esprits étroits, la cupidité des puissants, l’abandon des lieux de mémoire.
Il paraîtrait d’ailleurs qu’il a signé la pétition contre la mise en vente du grenier des Augustins.
Gasiglia-Laster Danièle, Le Paris de Prévert, éditions Alexandrine, 7, 90 €