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29/04/2015

Partager l’amour

 

Elle était née pour « partager l’amour, non la haine ». Théâtre, théâtre de la Ville, Antigone de Sophocle

Antigone (Juliette Binoche) se révolte contre le décret de son oncle Créon. Elle refuse que, de ses deux frères, Etéocle et Polynice qui se sont entretués, l’un soit privé de sépulture et abandonné aux chiens et aux oiseaux. «  Qui sait, si chez les morts, de telles lois sont justes ? » Et elle accomplit donc les rites funéraires. Elle est arrêtée et condamnée à mort.

Ivo Van Hove met en scène Antigone de Sophocle, en anglais pour une tournée internationale. Il a choisi un lieu imprécis et atemporel (décor & lumières : Jan Versweyseld). La scène comporte plusieurs plateaux. Le premier, proche du public est une sorte de salon-agora-bureau où Créon reçoit ses conseillers (le chœur), puis Tirésias. Un large passage, quelques marches plus haut, domine  ce premier espace. En son centre, se cache une trappe d’où surgira le corps de Polynice, et par laquelle descendra celui d’Antigone. Et, dans son axe se dresse un étroit passage surmonté d’un cercle qui s’ouvre comme un disque solaire, découvrant le ciel clair, puis se ferme comme une pierre obscurcissant le tombeau. On dirait qu’une immense « hache-ostensoir », pareille à celles des cérémonies kanaques préside à la tragédie ?

Où sommes-nous ? Et quand ? Les hommes du chœur (Finbar Lynch qui joue aussi Tirésias), Hémon (Samuel Edward-Cook) sont en costumes sombres modernes (An d‘Huys), Antigone vêtue de noir, fragile silhouette, affronte le tyran (Patrick O’Kane) massif et impitoyable. Ismène (Kirsty Bushell) est en jupe rouge, Eurydice (Kathryn Pogson) porte du brun et le garde (Obi Abili) du gris.

Créon s’obstine. Antigone résiste.

Ivo Van Hove essaie « d’appréhender l’âme noire d’Antigone »*.  Or, il m’a toujours semblé qu’elle était un cœur pur, une de ces âmes virginales respectueuses du sacré, et dont l’amour pour sa famille reste intact malgré toutes les vicissitudes. Ce n’est pas son « impulsion » qui la fait « prendre soin de la dépouille de son frère », mais un sentiment profond de pitié et de tendresse, accompagné du sens du « devoir ». L’ordre de son cœur, de sa foi, s’oppose à l’ordre de la cité. Et pour l’accomplir, au lieu du lit nuptial promis, elle choisit le tombeau.

Alors pourquoi la faire ressusciter pour le finale ? Surgie par la grâce de la trappe, elle se mêle au chœur pour blâmer l’orgueilleux Créon anéanti par la mort de ses fils et de sa femme.

Étrange, non ?

 

 

* - extrait du programme.

 

 Photo © Jan Versweyveld

Antigone de Sophocle

Théâtre de la Ville

01 42 74 22 77

Adaptation en anglais de Anne Corson

Version surtitrée

Jusqu’au 14 mai

26/04/2015

À lire et à jouer

 

 

Théâtre, Japon, Histoire, Jean-Paul Alègre, livreMoi, Ota, rivière d’Hiroshima de Jean-Paul Alègre

 

C’est une belle idée, une idée de poète, de donner la parole à une rivière. Ota est celle qui traverse Hiroshima, celle qui est entrée en ébullition quand, il y a soixante-dix ans, le 6 août 1945, Little Boy frappa sa cible, libérant une chaleur de six mille degrés.

Jean-Paul Alègre restitue l’Histoire avec une grande maîtrise de dramaturge. Les scènes réalistes et proprement historiques où les présidents Roosevelt, puis Truman, et leur conseiller, Vannevar Bush (oui un Bush, déjà !) jaugent tranquillement les avantages de la bombe, alternent avec les scènes lyriques où la rivière chante la nature éternelle, et les scènes élégiaques où deux adolescents, le frère et la sœur, séparés par la guerre tentent de garder le lien familial.

Nous retrouvons ici l’auteur de Vol 2037C’est Jean Moulin qui a gagnéLettres croiséesBlanche Maupas  ou L’Amour fusillé, qui explore le monde en humaniste. Il décrit la course insensée des hommes de pouvoir, le déchirement des humbles et leur combat pour la justice. Compositions chorales, ces œuvres s’inscrivent dans la belle lignée du théâtre épique, rarement parcourue par nos auteurs. Avec Moi, Ota, rivière d’Hiroshimales morts innocents en appellent auprès des vivants responsables. 

Le texte est magnifique.

La pièce vient d’être créée au Japon au théâtre Kaï de Tokyo. Une tournée est prévue là-bas. L'accueil y est triomphal. Moi, Ota, rivière d’Hiroshiman’est pas encore jouée ici, en France, mais elle le sera grâce à l’édition.

 

Moi, Ota, rivière d’Hiroshima de Jean-Paul Alègre, éditions de L’Avant-Scène Théâtre, collection des Quatre-Vents, prix : 10 €

07/04/2015

Qui paye ses dettes ?

 

 

Théâtrte, Littérature, Théâtre de la Ville, Balzac, Demarcy-Mota, Maggiani.Balzac avait des dettes :

 « Quel est l’heureux homme de ce siècle, qui à la suite de la déroute  politique et de la banqueroute, des émigrations, des confiscations, des réquisitions, des appréhensions, des épurations et des invasions qui ont renversé toutes les fortunes, a toujours pu dire : Je ne dois rien ?... Quelle  nation,  assise  sur  des  monceaux  d’or  aujourd’hui, pourrait  dire : je ne serais jamais débiteur ?...

Notre  jurisprudence  reconnaît  vingt-six  natures de  dettes. » […]

Vous avez des dettes ?

 « Il est évident que le monde ne se compose que de gens qui ont trop et de gens qui n’ont pas assez ; c’est à vous de tâcher de rétablir l’équilibre en ce qui vous  concerne.

Ce qui est dans la poche des autres serait bien mieux dans la mienne !

Ôte-toi de là que je m’y mette !

Tel est, en peu de mots, le fond de la morale universelle. »[1]

Emmanuel Demarcy-Mota a mis en scène Le Faiseur  de Balzan. Sa version scénique est éblouissante, et la troupe qu’il dirige époustouflante. Toujours en équilibre instable dans un décor chaotique qui monte et descend comme les cours de la Bourse. Une trouvaille !

Monsieur Mercadet (Serge Maggiani) a des dettes et il s’en vante :

« Savez-vous pourquoi les drames dont les héros sont des scélérats ont tant de spectateurs ? C'est que tous les spectateurs sortent flattés en se disant : moi, je vaux encore mieux que ces coquins-là. Qu'y a-t-il de déshonorant à devoir ? Est-il un seul État en Europe qui n'ait pas sa dette ? »[2]

La pièce se joue à guichets fermés ?  Réclamez une reprise, une prolongation Lisez-la ! Et étudiez-la !

 

 

Le Faiseur de Balzac

Théâtre de la ville/ Théâtre des Abbesses

jusqu'au 11 avril.

 



[1]- In L’Art de payer ses dettes d’Honoré de Balzac.

[2]- Le Faiseur de Balzac, collection Théâtrede la Ville, 12 €