30/11/2014
Tout est permis
« Tout est permis » aux puissants. Le Roi Ignace (Alain Fromager), le Prince Philippe (Thomas Gonzalez), La Reine Marguerite (Hélène Alexandridis), l’affirment, Le Chambellan (Jacques Verzier) le confirme. Et tous ceux qui gravitent autour d’eux, Dames (Miglé Berekaité, Delphine Meilland, Nelly Pulicani), thuriféraires (Clément Bertonneau, Brice Trinel) et autre (Blaise Pettebone) en sont persuadés.
Dans cette cour burgonde, chacun prend soin de son apparence, et pour Yvonne, princesse de Bourgogne, la mise en scène de Jacques Vincey place les personnages de Gombrowicz dans une sorte de véranda, mi salle de sport, mi salon. Ils entretiennent leurs corps dans une éternelle jeunesse, leurs visages affichent un continuel sourire. Derrière les grands panneaux vitrés, de grandes palmes balancent la verdure perpétuelle d’un jardin exotique.
Mais la bonhomie du Roi dissimule une âme scélérate, le couple qu’il forme avec la reine Marguerite s’apparente à celui de Macbeth et de sa cruelle Lady. Quant à Philippe, le Prince si charmant, il va déclencher la haine et réveiller tous les vices de cette société close. Le vernis social n’est pas long à craquer.
Le jour de la fête nationale, alors que le Roi s’en va « fraterniser avec le peuple », Philippe choisit Yvonne (Marie Rémond), « un épouvantable laideron » pour en faire sa fiancée. Elle est « mal fagotée », apathique, elle ne sait ni sourire, ni parler, ni obéir, ni faire la révérence. Mais Le Prince, une « âme noble », l’a choisie, et pour ne pas faire de scandale, tous s’inclinent.
Leur Prince n’épouse pas une jolie bergère, mais une affreuse limace, qu’il soit béni !
Leur complaisance n’a d’égale que la cruauté de leur Prince. Et ils iront jusqu’au crime.
« On peut tout se permettre avec elle », puisqu’elle n’est pas de leur sérail, qu’elle ne sait pas protester, et qu’ils sont tout puissants. La scénographie de Mathieu Lorry-Dupuy se déglingue, les lumières de Marie-Christine Soma basculent, les costumes d’Axel Aust sont souillés, les meubles se renversent. La mise en scène de Jacques Vincey traduit ainsi le profond malaise cette société rongée par la bassesse, la vanité et l’ennui. les comédiens ont une présence extraordinaire. Ils donnent à leurs personnages une humanité terrifiante.
Ne cherchez pas d’analogie avec des royautés contemporaines, Gombrowicz les confond toutes, parodiant Shakespeare, et transformant les prétendues fiançailles en une grande fête sacrificielle.
Le théâtre n’est-il pas offert à Dionysos après l’immolation du tragos ? Le bouc émissaire est ici une chèvre, et le conte de fées devient tragédie.
Pas de pitié pour les faibles !
Une visionnaire ce Gombrowicz !
Yvonne, princesse de Bourgogne de Witold Gombrowicz
texte français Constantin Jelenski et Geneviève Serreau (Ed. Gallimard)
Après Tours, Thionville, Angers, Malakoff, Yvonne, princesse de Bourgogne se joue au Théâtre National de Bordeaux du 3 au 7 décembre
18:00 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Littérature, Politique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre 71, gombrowicz, jacques vincey | Facebook | | Imprimer
26/11/2014
Deux enfants très aimables
On connaît peu le théâtre médiéval. Il fut longtemps au Purgatoire. Les auteurs se soumettaient sans regimber à la rigueur classique des trois unités, car le mélange des genres était passible d’un anathème épouvantable ! Grâce à l’obstination des chercheurs, et à la détermination de rares metteurs en scène, il va cette saison, renaître au Théâtre du Poche-Montparnasse.
Stéphanie Tesson se passionne depuis toujours pour ces formes méconnues, qui, du Xe au XVe siècle ont inventé notre théâtre et brassent prodigieusement la comédie, la moralité, les récits, les chants, la tragédie, la farce, la poésie, la philosophie, la musique, le sacré et le profane, afin de divertir et enseigner les hommes.
C’est avec Aucassin et Nicolette que débute le cycle médiéval au Théâtre du Poche-Montparnasse. La « Chantefable » anonyme du XIIIe siècle, « écrite dans des temps anciens », a été retraduite par Stéphanie Tesson en heptasyllabes et octosyllabes chantants et délicats. Elle la met en scène avec deux excellents comédiens, Stéphanie Gagneux et Brock, dans la tradition des tréteaux : pas de décor, peu d’accessoires et une fluidité joyeuse. Ils jouent tous les rôles (Brock fait aussi les lumières et le bruitage) dans les aventures de « deux enfants très aimables », deux enfants qui s’aiment et que la société sépare, car Aucassin est le fils du Comte de Beaucaire, et Nicolette une étrangère, captive achetée aux Sarrazins.
On entend les tambourins avant de les voir. Deux gonfanons encadrent l’espace scénique. Ils sont d’or à rebec couplé en abîme avec flûtes.
Ils arrivent les troubadours !
Souriants, affables, ils commencent le récit, ils le scandent, ils le jouent. Brock devient le Comte Garin de Beaucaire, vieux et méchant, puis son ennemi le comte Bongard de Valence vindicatif et le père adoptif de Nicolette, un vassal obséquieux. Il sera aussi un berger jovial et madré et d'autres encore. Stéphanie Gagneux en habit bicolore asymétrique, imité des miniatures médiévales sera Aucassin côté gauche et Nicolette côté droit. (Scénographie et costumes : Sabine Schlemmmer).
Séparé de Nicolette enfermée dans une haute tour, Aucassin pleure. Il refuse de « prendre les armes » pour défendre ses terres, plus rien n’a d’intérêt pour lui, même pas la promesse du Paradis après sa mort. Il préfère l’enfer « où vont les belles dames, les jongleurs et les rois du siècle ».
Ah ! si son père s’engageait à lui donner Nicolette…
Marché conclu ! Il s’élance, gagne le combat, ramène le conte Bongard de Valence prisonnier… Mais le père ne tient pas sa parole ! Et voilà Aucassin emprisonné.
Je ne vous dirai pas qu’ils se retrouveront, vous l’avez deviné. Je vous parlerai seulement des bergers et de leurs moutons bêlant, des clochettes des troupeaux, des trilles du rossignol et du hululement de la chouette, du ressac qui se fracasse contre la nef qui les emporte, des mouettes qui crient, des chevaux qui caracolent. Et de leur amour, inébranlable.
Nicolette « au clair visage » est naturellement « de haut lignage », fidèle à son Aucassin, rebelle aux ordres du roi païen son père. Elle mène l’action dans un monde féodal où suzerain et vassaux se disputent, et où la femme doit seulement obéir.
Une bien belle lutte, toujours recommencée et ici, récompensée, car « ils vécurent longtemps entre plaisir et délices ».
Et c’est ainsi que le public « si déprimé » en entrant, « retrouve l’espoir, la santé et la gaieté. »
Ainsi soit le théâtre médiéval qui opère miracle !
Photo © Alejandro Guerrero.
Aucassin et Nicolette, chantefable anonyme du XIIIe siècle
Traduction et mise en scène : Stéphanie TESSON
Théâtre de Poche-Montparnasse
Depuis le 12 novembre et jusqu’au 4 janvier 2015
du mardi au samedi à 19h,
dimanche 17h30
Relâches : les 20, 24 Décembre et 1er Janvier
Plein tarif 24€ / Tarif réduit 18€ / Tarif jeunes -26 ans 10€
01 45 44 50 21
www.theatredepoche-montparnasse.com
23:13 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, éducation, Littérature, Livre, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre du poche-montparnasse, littérature, stéphanie tesson, brock, stéphanie gagneux | Facebook | | Imprimer
10/11/2014
La flamme des pompières
Elles portent une canadienne rouge (costumes Arnaud Lazérat) et des galons de fantaisie. Pardon ! de poésie, car les pompières sont poétesses. Elles sont quatre, mais elles marchent par deux, en alternance, Juliette Allauzen, Delphine Biard, Emilie Chevrillon, Sophie Plattner, en « duo festif et fantasque. »
Elles sont au Poche-Montparnasse tous les samedis, pour « raviver la flamme de la poésie », et sur un thème choisi libèrent des poèmes pour les offrir aux spectateurs. Elles en connaissent des centaines mais ce sont les spectateurs qui, à tour de rôle, tirent la carte illustrée qui les délivrent. Et à tous les coups, on gagne !
Pendant une heure, vous pourrez ainsi écouter Baudelaire et Prévert, Rimbaud et Rilke, Michaux et Shakespeare, Andrée Chedid et Marceline Desbordes-Valmore, Louis Labé et Marina Tsvetaïeva, Paul Eluard et Victor Hugo, Esther Granek et Armelle Dumoulin, Max Jacob et René de Obaldia, ou d’autres, car elles sont intarissables. Elles s’accompagnent elles-mêmes au violon et au piano dans les lumières de Pierre Blostin. La poésie cascade, fluide et colorée, et le public est ravi.
« Chaque spectacle est unique » disent-elles. Leur malicieuse sarabande vous ramène aux portes de l’enfance, dans ces paroles magiques qui vous guident et vous font croire que tout est possible.
Et si c’était vrai ?
photo :© D. R.
Les Pompières poétesses de Juliette Allauzen
Mise en scène de Romain Puyelo
Théâtre de Poche-Montparnasse
01 45 44 50 21
Tous les samedis à 17 h jusqu’au 27 décembre.
18:53 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, humour, langue, Littérature, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre de poche-montparnasse, poésie | Facebook | | Imprimer