06/07/2015
Hommage au génie
Orson Welles aurait eu 100 ans cette année. Il laisse une oeuvre immense. Anca Visdei a revu des milliers de pages, d'entretiens, de critiques, visionné des kilomètres de pellicules pour essayer de démêler ce qui fut légende et réalité, mystification et vérité, invention et document. Enfant prodige, jeune homme talentueux, génie de la radio, du cinéma, de la narration, Orson Welles avait « une incroyable capacité de travail et de création ». On l'accusa d'être un « prétentieux gâté par le succès », qui ça ON ? Mais les médiocres bien sûr. Et comme le dit si bien Anca Visdei : « la conjuration des imbéciles ».
Dans une époque où son pays maintenait la ségrégation raciale et refusait d'intervenir contre Hitler, Orson Welles affichait son opposition, ça dérangeait. « Etre né libre, c'est être né avec une dette : vivre en liberté sans combattre l'esclavage, c'est être un profiteur. » Et Orson Welles s'engagea dans un combat pour la justice, contre la police qui avait rendu Isaac Woodard aveugle. Pouvait-on laisser un citoyen américain ternir l’image de l’Amérique ? Il fut donc la cible du FBI.
Les producteurs furent de plus en plus réticents à lui faire confiance. Or, « L'inspiration artistique sans les moyens financiers et techniques est aveugle, les moyens sans le poète sont stériles. »
Depuis son canular de 1938[1]Welles était déjà célèbre à la radio, mais ne connaissait pas grand-chose au cinéma. Quand, le 22 juillet 1940, il commence le tournage de Citizen Kane, Gregg Toland ne lui a donné que deux jours de cours. Mais le coup d’essai fut, comme disait notre vieux Corneille, « un coup de maître ».
« Le film regorge d’inventions techniques ou d’utilisations de procédés classiques employés de façon innovantes » écrit Anca Visdéi dans la biographie Orson Welles, qui rend hommage à ce génie. « Citizen Kane constitue la prémonition, les mémoires, l’épitaphe de la vie de Welles lui-même. » Dans ce film, le réalisateur a anticipé tout ce qu’il allait vivre par la suite. »
Et il n’a que vingt-cinq ans !
Trop doué, trop insolent, trop généreux, il aura bientôt contre lui une bonne partie de Hollywood, le FBI (avec le terrible Edgar Hoover), le fisc et quelques journalistes haineux, avides de scandales dans une société hypocrite. En Europe, on le découvre après la guerre et il est reconnu et adulé. Mais ce sont les fonds qui manquent…
Pour financer ses films, Orson accepte toutes les émissions radio qu’on lui propose, tous les films en tant qu’acteur, retourne mettre en scène au théâtre, réinvestit ses cachets pour produire ses projets. Beaucoup de tournages sont arrêtés faute de moyens, mais ses interprètes, ses techniciens lui sont fidèles et reprennent le tournage dès que les crédits rentrent. Ils constituent, autour de lui, « une famille ».
Vous trouverez dans la saga que constitue Orson Welles d'Ana Visdei, les déboires et les victoires du cinéaste, ses triomphes et ses échecs, ses amours aussi, car ce fut un grand amoureux qui séduisit les plus belles femmes de l’époque et les magnifia à l’écran.
Il ne termina jamais son Don Quichotte, il abandonna son Cyrano à l’état de projet, laissa son Caesar à moins talentueux que lui. Mais aujourd’hui, on retrouve des bobines, on découvre ses essais, ses rushes jamais montés, et on revoit ses chefs d’œuvre avec passion.
Il fut « humaniste et voltairien » et ses détracteurs (« 75% de mensonges »), sont retournés à l’oubli. Alors si les producteurs n’ont pas su « discipliner l’Océan », il nous reste une œuvre « immortelle »…
Orson Welles, d’Anca Visdei, éditions de Fallois, 20€
Si vous restez à Paris, passez votre été avec Orson Welles à la Cinémathèque
http://www.cinematheque.fr
12:55 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Film, Histoire, Littérature, Livre, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : orson welles; cinéma, théâtre, livre, anca visdei | Facebook | | Imprimer
28/06/2015
De rerum natura
Tout avait commencé avec les Fantaisies potagères, à Versailles, en 2003. Puis il y eut d’autres Fantaisies, les bucoliques, les microcosmiques, les mythologiques, les gourmandes, touts crées pour le Potager du Roi, dans les dédales des vergers, au bord des fontaines, à l’abri des espaliers. Stéphanie Tesson, la metteuse en vie de ces promenades spectacles fit appel à soixante-cinq auteurs pour les imaginer.
Aujourd’hui, elle signe seule le spectacle de Monologues en plein champ, où les choses de la Nature vous parlent de la nature des choses. Elle est à la fois auteure, et interprète. Marguerite Tanguy des Déserts les met « en images ».
Et c’est un ravissement !
Corinne Pagé a composé pour elle une robe-manteau d’un vert soyeux très tendre, peinte comme un tableau que l’École de Barbizon (ou celle de Bléneau) n’aurait pas renié.
Accompagnée par deux musiciens qui ponctuent les saynètes avec talent et humour : Emmanuelle Huteau et Olivier Depoix, elle sera Vent, Cloporte, Papillon, Punaise, Fourmi, Champignon Arbre (mais lequel ?), Ronce, Hibou, Ver (de terre), Mouche, Caillou, Escargot, Guêpe et même… attachée de presse citadine.
Car, voyez-vous, face à cette Nature peu disciplinée, têtue, foisonnante, l’Homme et naturellement la Femme sont des prédateurs redoutables.
L’avant-première a eu lieu Place Saint-Sulpice, dans le cadre de la Foire Saint-Germain.
Il n’y a pas de tournée ! Et pourtant ce ne sont pas les jardins extraordinaires qui manquent, en France.
Tenez, au hasard, le jardin de Chaumont qui ouvre la nuit pendant l’été, et qui avec ses illuminations, n’a pas prévu de donner la parole à ses plantes et ses arbres. Il faudrait pourtant qu'il soit "dans le Vent".
Je lui recommande ces Monologues de plein champ, Shakespeare (Le Songe d’une nuit d’été) et Hugo (La Forêt mouillée), en seront enchantés.
photo : © N. D.
Monologues de plein champ, texte paru dans la collection des Quatre-Vents, éditions de l’Avant-Scène Théâtre, 12 €. Le texte est suivi de la réédition de Cœur de laitue, une des premières pièces de Stéphanie Tesson : un petit bijou de tendresse envers les plantes.
11:24 Écrit par Dadumas dans Blog, cabaret, culture, éducation, humour, Littérature, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, poésie, musique, stéphanie tesson, nature, jardin de chaumont, jardins. | Facebook | | Imprimer
19/06/2015
La reine de Montparnasse
Elle naquit en 1901 dans un « joli coin de Bourgogne ». On l’appela Alice. Sa mère était pauvre, son père était riche. Et comme ce n’était pas un conte de fées, ils ne vécurent pas ensemble. La mère partit pour Paris trouver du travail. Et Alice resta au pays chez sa grand-mère, laquelle élevait comme elle pouvait, les enfants dont la famille ne pouvait pas s’occuper. La soupe était souvent claire, mais elle les nourrissait d’amour.
Quand elle eut douze ans, sa mère se souvint d’elle et la fit venir à Paris pour entrer en apprentissage. Brocheuse, fleuriste, ouvrière (c’est la guerre, on la recrute pour visser des ailes d’avion), là voici bonne à tout faire dans une boulangerie. Cependant, elle est nourrie et logée, c’est mieux que chez sa mère qui « n’était pas faite pour être mère ». Mais comme elle ne supporte pas d’être battue, elle se retrouve à la porte. Qu’à cela ne tienne, elle va poser nue chez un sculpteur, et gagne 5 francs pour 3 heures de pose alors qu’à la boulangerie, elle en gagnait 2 par mois.
Hélas ! Sa mère a des principes et poser nue, c’est être une putain ! Pas de ça chez elle ! En plein hiver, Alice est à la rue, pauvre « grenouille aux souliers percés »[1]. C’est un peintre qui la recueille, il s’appelle Soutine. Elle devient son modèle et celui d’autres peintres. Ils ne parlent pas bien le français : ils la baptisent Kiki, c’est plus facile.
Il y eut quelquefois « retour à la case pieds mouillés dans la neige ». Mais avec une volonté tenace, elle rejoignit la « bande de la Rotonde » où le « papa Libion »[2] lui avait conseillé d’acheter un chapeau[3].
Elle pose pour Gworzdecki, Utrillo, Van Dongen. Elle est l’« inspiratrice » de Foujita, Kisling, Maurice Mendjinsky[4], Man Ray, la compagne d’Henri Broca, et d’autres Montparnos comme on les appelle, ces artistes, peintres, écrivains, sculpteurs, cinéastes. Dans leur vie de bohème à Montparnasse, on ne mange pas tous les jours, mais on boit, on danse, et on se dépêche de rire de tout. Elle est élue « reine de Montparnasse ». Étroit royaume, réduit au périmètre de la Rotonde, la Coupole, le Dôme, le Jockey, avec quelques incursions à Montmartre, quelques voyages vite achevés car, hors Montparnasse, la chance ne lui souriait guère. Royaume éphémère car la guerre dispersa ses amis.
Quand Kiki mourut, en 1953, seul Foujita l’accompagna au cimetière de… Thiais.
Pour cette Fantaise musicale intitulée Kiki, Hervé Devolder s’inspire avec talent des Mémoires de Kiki, recueillies par son dernier compagnon, André Laroque, agent des contributions directes le jour et musicien (accordéon et piano) la nuit.
Milena Marinelli est une Kiki, étonnante de ressemblance avec l’originale. Elle en a aussi la gouaille et l’assurance. Son joli timbre de voix fait merveille dans les chansons tour à tour réalistes ou nostalgiques. Elle est seule en scène et Ariane Cadier au piano, quelquefois, lui lance quelques remarques piquantes. C’est un spectacle enjoué, pétillant d’humour, fluide comme les boissons que Kiki aimait tant.
« Ne s’éteint que ce qui brille » écrivait Aragon. Hervé Devolder a rallumé les projecteurs sur elle.
Photos : © Pauline Marbot
Kiki, le Montparnasse des années folles, de Hervé Devolder
Théâtre de la Huchette
01 43 26 38 99
du mardi au vendredi à 21h
samedi à 16 h
depuis le 17 juin.