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07/04/2015

Qui paye ses dettes ?

 

 

Théâtrte, Littérature, Théâtre de la Ville, Balzac, Demarcy-Mota, Maggiani.Balzac avait des dettes :

 « Quel est l’heureux homme de ce siècle, qui à la suite de la déroute  politique et de la banqueroute, des émigrations, des confiscations, des réquisitions, des appréhensions, des épurations et des invasions qui ont renversé toutes les fortunes, a toujours pu dire : Je ne dois rien ?... Quelle  nation,  assise  sur  des  monceaux  d’or  aujourd’hui, pourrait  dire : je ne serais jamais débiteur ?...

Notre  jurisprudence  reconnaît  vingt-six  natures de  dettes. » […]

Vous avez des dettes ?

 « Il est évident que le monde ne se compose que de gens qui ont trop et de gens qui n’ont pas assez ; c’est à vous de tâcher de rétablir l’équilibre en ce qui vous  concerne.

Ce qui est dans la poche des autres serait bien mieux dans la mienne !

Ôte-toi de là que je m’y mette !

Tel est, en peu de mots, le fond de la morale universelle. »[1]

Emmanuel Demarcy-Mota a mis en scène Le Faiseur  de Balzan. Sa version scénique est éblouissante, et la troupe qu’il dirige époustouflante. Toujours en équilibre instable dans un décor chaotique qui monte et descend comme les cours de la Bourse. Une trouvaille !

Monsieur Mercadet (Serge Maggiani) a des dettes et il s’en vante :

« Savez-vous pourquoi les drames dont les héros sont des scélérats ont tant de spectateurs ? C'est que tous les spectateurs sortent flattés en se disant : moi, je vaux encore mieux que ces coquins-là. Qu'y a-t-il de déshonorant à devoir ? Est-il un seul État en Europe qui n'ait pas sa dette ? »[2]

La pièce se joue à guichets fermés ?  Réclamez une reprise, une prolongation Lisez-la ! Et étudiez-la !

 

 

Le Faiseur de Balzac

Théâtre de la ville/ Théâtre des Abbesses

jusqu'au 11 avril.

 



[1]- In L’Art de payer ses dettes d’Honoré de Balzac.

[2]- Le Faiseur de Balzac, collection Théâtrede la Ville, 12 €

25/02/2015

Albertine retrouvée

 

Théâtre, poche-montpanasse, poésie, littérature, Albertine Sarrazin, Mona  Heftre, Manon SavaryOn avait un peu oublié la vie tumultueuse d’Albertine Sarrazin. Abandonnée à l’Assistance publique à la naissance, adoptée, violée à dix ans par un oncle, elle est bouclée au Bon Pasteur dès les premières révoltes de l’adolescence. Elle commence à noircir de petits cahiers, et ses écrits sont confisqués. Excellente élève, mais indisciplinée, elle fugue le jour de son oral de bac. Elle quitte Marseille où « le nombre de flic égale celui des malfaiteurs. »

De quoi peut vivre une fille de quinze ans à Paris ? Elle se prostitue, tente un braquage avec son amie Emilienne et la voilà en prison à seize ans. Elle supporte mal la « solitude et l’enfermement » et  quand en 1955, elle est condamnée à sept ans de prison, elle s’évade, saute d’un mur de dix mètres et se casse un os du pied, l’astragale.

Celui qui la ramasse, c’est Julien Sarrazin, un petit délinquant, qui va devenir son grand amour. Elle ne va vivre que pour lui, par lui. Ils sont arrêtés, condamnés, libérés, réincarcérés, mais ils se marient, et une fois leurs peines purgées s’installent ensemble dans les Cévennes. En 1964, Jean-Jacques Pauvert accepte deux manuscrits : La Cavale et L’Astragale, deux succès d’édition, tout de suite adaptés au cinéma. Albertine Sarrazin devient célèbre, « Je crois au pouvoir de la volonté, de l’enthousiasme. » déclare-t-elle, dans une interview.

Mais le bonheur est court et la vie injuste. En 1967, à cause d’un anesthésiste incompétent, elle meurt après une opération. Elle n’avait pas trente ans.

théâtre,poche-montpanasse,poésie,littérature,albertine sarrazin,mona  heftre,manon savaryMona Heftre bouleversée par l’œuvre et la vie d’Albertine lui dresse un mémorial poignant. Spectacle baroque bâti avec des textes puisés dans les romans, les poèmes (dont certains sont mis en musique (musique de Camille Rocailleux), les entretiens. Avec sa silhouette fine, ses gestes gracieux, Mona réincarne l’incandescente jeune femme brune au visage étroit et aux yeux immenses. Manon Savary, qui signe la mise en scène et une vidéo, donne aux images en noir et blanc une esthétique contrastée faite de lumières crues et de noirs angoissants. Les lumières de Pascal Noël articulent les épisodes de cette impétueuse « vie de cavale ».

Comment ne pas l’aimer cette Albertine, qui volait les poèmes de Rimbaud et défiait la famille bourgeoise qui l’avait reniée ? Comment ne pas la plaindre, elle qui fut victime de la « bestialité des hommes » ? Elle n’avait ni « bon sens, ni morale, ni retenue ». On a jugé qu’elle était  « perverse », et même un « danger pour l’ordre public », alors qu’elle n’était qu’une petite fille affamée d’amour et de tendresse. Ses mots, comme des cris rebelles saisissent les spectateurs.

Grâce à Mona Heftre, Albertine disparue est devenue aujourd’hui Albertine retrouvée.

 

Photo :© D. R. 

 

 

 

 

 

Albertine Sarrazin, une vie de cavale de Mona Heftre

d’après l’œuvre d’Albertine Sarrazin

du mardi au samedi : 19 h, dimanche : 15 h

Théâtre de Poche-Montparnasse

Depuis le 24 février et jusqu’au 3 mai

01 45 44 50 21

 

26/11/2014

Deux enfants très aimables

 

 

théâtre du poche-montparnasse,littérature,stéphanie tesson,brock,stéphanie gagneuxOn connaît peu le théâtre médiéval. Il fut longtemps au Purgatoire. Les auteurs se soumettaient sans regimber à la rigueur classique des trois unités, car le mélange des genres était passible d’un anathème épouvantable ! Grâce  à l’obstination des chercheurs, et à la détermination de rares metteurs en scène, il va cette saison, renaître au Théâtre du Poche-Montparnasse.

Stéphanie Tesson se passionne depuis toujours pour ces formes méconnues, qui, du Xe au XVe siècle ont inventé notre théâtre et brassent prodigieusement la comédie, la moralité, les récits, les chants, la tragédie, la farce, la poésie, la philosophie, la musique, le sacré et le profane, afin de divertir et enseigner les hommes.

C’est avec Aucassin et Nicolette que débute le cycle médiéval au Théâtre du Poche-Montparnasse. La « Chantefable » anonyme du XIIIe siècle, « écrite dans des temps anciens », a été retraduite par Stéphanie Tesson en heptasyllabes et octosyllabes chantants et délicats. Elle la met en scène avec deux excellents comédiens, Stéphanie Gagneux et Brock, dans la tradition des tréteaux : pas de décor, peu d’accessoires et une fluidité joyeuse. Ils jouent tous les rôles (Brock fait aussi les lumières et le bruitage) dans les aventures de « deux enfants très aimables », deux enfants qui s’aiment et que la société sépare, car Aucassin est le fils du Comte de Beaucaire, et Nicolette une étrangère, captive achetée aux Sarrazins.

On entend les tambourins avant de les voir. Deux gonfanons  encadrent l’espace scénique. Ils sont d’or à rebec couplé en abîme avec flûtes.

Ils arrivent les troubadours !

Souriants, affables, ils commencent le récit, ils le scandent, ils le jouent. théâtre du poche-montparnasse,littérature,stéphanie tesson,brock,stéphanie gagneuxBrock devient le Comte Garin de Beaucaire, vieux et méchant, puis son ennemi le comte Bongard de Valence vindicatif et le père adoptif de Nicolette, un vassal obséquieux. Il sera aussi un berger jovial et madré et d'autres encore. Stéphanie Gagneux en habit bicolore asymétrique, imité des miniatures médiévales sera Aucassin côté gauche et Nicolette côté droit. (Scénographie
 et costumes : Sabine Schlemmmer).

Séparé de Nicolette enfermée dans une haute tour, Aucassin pleure. Il refuse de « prendre les armes » pour défendre ses terres, plus rien n’a d’intérêt pour lui, même pas la promesse du Paradis après sa mort. Il préfère l’enfer « où vont les belles dames, les jongleurs et les rois du siècle ». 

Ah ! si son père s’engageait à lui donner Nicolette…

Marché conclu ! Il s’élance, gagne le combat, ramène le conte Bongard de Valence prisonnier… Mais le père ne tient pas sa parole ! Et voilà Aucassin emprisonné.

Je ne vous dirai pas qu’ils se retrouveront, vous l’avez deviné. Je vous parlerai seulement des bergers et de leurs moutons bêlant, des clochettes des troupeaux, des trilles du rossignol et du hululement de la chouette, du ressac qui se fracasse contre la nef qui les emporte, des mouettes qui crient, des chevaux qui caracolent.  Et de leur amour, inébranlable.

Nicolette « au clair visage » est naturellement « de haut lignage », fidèle à son Aucassin, rebelle aux ordres du roi païen son père. Elle mène l’action dans un monde féodal où suzerain et vassaux se disputent, et où la femme doit seulement obéir.

Une bien belle lutte, toujours recommencée et ici, récompensée, car « ils vécurent longtemps entre plaisir et délices ».

Et c’est ainsi que le public « si déprimé » en entrant, « retrouve l’espoir, 
la santé et la gaieté. »

Ainsi soit le théâtre médiéval qui opère miracle ! 


 

Photo © Alejandro Guerrero.

 

Aucassin et Nicolette, chantefable anonyme du XIIIe siècle

Traduction et mise en scène : Stéphanie TESSON

 

Théâtre de Poche-Montparnasse

 

Depuis le 12 novembre et jusqu’au 4 janvier 2015


du mardi au samedi à 19h,

dimanche 17h30

Relâches : les 20, 24 Décembre et 1er Janvier


Plein tarif 24€ / Tarif réduit 18€ / Tarif jeunes -26 ans 10€


01 45 44 50 21

www.theatredepoche-montparnasse.com