25/11/2013
Un artiste diabolique
Il est le ténébreux, œil ardent et mystérieux, qui, en redingote surannée, tient la salle en émoi. Yanowski , « anarchiste espagnol par son père » et âme « slave par sa mère », chante, danse et joue ses chansons, accompagné au violon par Cyril Garac et au piano par Gustavo Beytelmann qui a écrit les arrangements musicaux. Ensemble, ils interprètent des chansons « à faire prier le diable ». Les lumières et la scénographie de Fred Brémond créent des ombres troublantes.
L’auteur-compositeur-interprète parle des bas-fonds de Buenos-Aires, où l’on peut enchaîner toutes les figures du tango, sauf celle de « la passe interdite ». Il vous fait voyager jusqu’aux confins de la steppe. On y fréquente les salons aristocratiques et les bouges, les cabinets particuliers et les bordels. On y rencontre des gens bizarres, on y croise peut-être le diable. L’univers de Yanowski appartient, dit le dossier de presse, au « réalisme fantastique », et, en effet on retrouve le thème du double, cher à Edgar Allan Poe (William Wilson) dans l’histoire de la « valse chez la comtesse ». On pense également à E. T. Hoffmann quand le « violon magique » de Cyril Garac devient celui du « violoniste fou ». Les influences de Nerval, de Gautier, croisent celles de Nougaro et de Brel en particulier dans L’auberge des adieux tandis qu’el señor Beytelmann, « un authentique mélomane », se prend pour Mozart.
La voix est envoûtante, les textes fascinants de poésie et d’étrangeté et la musique vous enchante. L’amour y est cruel, l’humour toujours noir et l’artiste diabolique !
Retenez vite les prochaines représentations.
Photos : © Victor Quezada de Perez
La Passe interdite de et avec Yanowski
Paris : Salle Gaveau les 29 et 30 janvier 2014 à 20 h 30
Et, au printemps été 2014, en tournée à Bois d’Arcy, Le Locle (Suisse), Meudon, Beaune, Lignières, Vendenheim, Tremblay-en-France, Montpellier, etc.
19:04 Écrit par Dadumas dans Blog, cabaret, danse, Littérature, Musique, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, musique, chanson, poésie | Facebook | | Imprimer
15/11/2013
Les liens du sang
Ils arrivent endeuillés, accablés et cérémonieux, les cousins de feu Mata Todorovic.
Trifun (Jean Tom) chante les louanges du défunt. Agaton Jean Hache) en dresse le panégyrique avec sa femme, Simka (Annick Cisaruk). Mica (Pascal Ivancic) dit son affliction, Sarka (Antonia Malinova) sa consternation, Proka (Philippe Ivancic) gémit de douleur et sa femme Gina (Rosalie Symon en alternance avec Charlotte Rondelez) sanglote pour toute la famille.
Mais leur désolation n’est qu’affectation, car ce qu’ils attendent, c’est l’ouverture du testament. Chacun espère hériter et tous se partagent déjà les biens meubles et immeubles du domaine. Ils se font des politesses, mais s’épient et surveillent qu’aucun ne s’empare de l’argenterie, ni des bibelots. Méchants entre eux et méprisants envers celle qu’ils prennent pour la servante, une jeune fille en noir, Danica (Caroline Pascal) fragile et sérieuse.
Quand ils apprendront qu’elle est l’héritière, fille naturelle de leur cousin, elle sera d’abord « la bâtarde ». Puis Agaton change de tactique, devient paternel et mielleux. Il tente de circonvenir, la jeune fille, puis l’avocat, Maître Petrovic (Sacha Petronijevic) et sans scrupules, s’installe dans la maison…
La comédie est féroce. L'auteur, Branislav Nusic est impitoyable envers ses semblables. Ses personnages sont vicieux, le meneur de la bande est pervers, les innocents sont abusés, et le public rit de cet humour cinglant. Dans le décor sobre et efficace de Danièle Rozier, le pouf circulaire centralise les concupiscences. Les portes s’ouvrent sur leurs convoitises et se ferment sur leurs larcins. Ils sont cupides, laids, âpres, et ridicules. On plaint les victimes de ces parasites-là, et on étranglerait volontiers le triste sire qu’est Agaton. La mise en scène est épatante, rythmée (musique des Yeux noirs), pleine d’esprit, servie par des comédiens délurés, que les lumières d'Antoine De Carvalho, les maquillages de Solange Beauvineau transfigurent.
La farce ne propose pas de morale, mais sa réflexion sur la famille vous fera douter de la légitimité des liens du sang.
Photo : © Kasia Kozinski
Les (Des)héritiers de Branislav Nusic
Traduction de Sacha Petronijevic
Théâtre 13
01 45 88 62 22
Mardi, jeudi et samedi : 19 h 30
Mercredi et vendredi : 20 h 30, dimanche : 15 h 30
Jusqu’au 22 décembre
17:04 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, humour, Musique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre 13, humor, nusic, grijic | Facebook | | Imprimer
12/09/2013
Zelda, celle qui avait du talent*
Ils étaient jeunes, beaux, riches, célèbres et ils s’aimaient. Mais ils n’eurent pas beaucoup d’enfants et ne vécurent ni longtemps, ni heureux. Scott Fitzgerald (Julien Boisselier) avait-il épousé en Zelda (Sara Giraudeau) l’héroïne de ses romans ? Ou s’inspirait-il de Zelda pour composer ses personnages en puisant dans le journal intime de sa femme ? Et eut-il une liaison homosexuelle avec Ernest Hemingway (Jean-Paul Bordes) ?
Renaud Meyer à la fois auteur et metteur en scène peint le trio mythique avec habileté et ne nous cache rien des faiblesses de chacun. Sara Giraudeau est bouleversante dans cette incarnation de femme fragile, incomprise, souvent allumeuse, quelquefois naïve, toujours trouble-fête. Elle se veut rebelle mais cède aux injonctions de l’homme qu’elle adore. Il lui vole des nouvelles et lui impose de couper des chapitres entiers de son roman Save the waltz (1932) pour les verser dans le sien Tender is the night (1934). Jean-Paul Bordes s’est fait une belle tête de faux-jeton à moustache, et Julien Boisselier joue les charmeurs. Du grand hôtel de New York au bord de la Riviéra, le couple s’aime et se déchire, et Hemingway sème son venin. Costumes de Dominique Borg et scénographie de Jean-Marc Stehlé donnent à l’histoire la vraisemblance des années folles.
En 1924, Scott boucle Zelda à la maison quand elle a une aventure avec Edouard Jozan. Puis, quand lui, s’amourache de Sheilah Graham, il la fait admettre en clinique psychiatrique. Pourquoi s’étonner qu’elle sombre dans la schizophrénie ? « Trouble bipolaire » dira le Docteur Irving Pine. « Harcèlement moral » diront d’autres, dont Gilles Leroy dans Alabama Song. Où était le scandale ? Du côté de Zelda qu’on jugea « folle » ou de Scott à qui on pardonnait son alcoolisme ? Qui a détruit l’autre ? Qui avait du talent ?
Scott meurt en 1940, à Hollywood, complètement décavé, Zelda en 1948 dans l’incendie de l’hôpital où elle est internée.
Le dernier acte de Zelda et Scott transfigure cette sombre période, en représentant Zelda seule, prisonnière d’une malle capitonnée, le corps torturé d’un corse. On sait sa passion pour la danse et à quels excès elle soumettait son corps pour devenir une danseuse exceptionnelle. La démesure était son ordinaire. La scénographie de Jean-Marc Stehlé (sans doute sa dernière) métaphorise à la fois les efforts de Zelda, sa souffrance et son inextinguible amour.
Trois musiciens : Xavier Bornens à la trompette, François Fuchs à la contrebasse et Aidje Tafial aux percussions (Manhattan Jazz Band) accompagnent magnifiquement ce drame, et quand Sara Giraudeau chante : Everybody loves my baby un ravissement saisit les spectateurs.
* Celle qui avait du talent, titre d'une nouvelle de Zelda Fitzgerald (1930)
Photos : © Lot
Zelda et Scott de Renaud Meyer
Du mardi au samedi à 21 h
Samedi : 15 h
Théâtre La Bruyère
01 48 74 76 99
18:15 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Littérature, Musique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre la bruyère, fitzgerald | Facebook | | Imprimer