30/03/2013
Concerto en bleu
Jean Echenoz, dans son Ravel retrace les dix dernières années du musicien et le montre fragile mais fringant, toujours élégant, distant et susceptible.
Anne-Marie Lazarini, aime les auteurs qui « sont capables de toucher la réalité du bout d’un doigt pour qu’elle existe » et elle met en scène le roman (avec très peu de coupures). Une narratrice (Coco Felgeirolles) et un narrateur (Marc Schapira) se relaient. Ils accompagnent un Ravel (Michel Ouimet), tout de blanc vêtu (costumes de Dominique Bourde). Le plateau baigne dans un bleu atemporel et apaisant qui laque le piano, les maquettes, le transat, la carcasse réinventée d’une Peugeot, le fauteuil club, une baignoire, le bastingage du France, tous les accessoires (décors et lumières de François Cabanat).
Andy Emler, au piano, est le soliste de ce « concerto en bleu ». Il a composé My own Ravel avec des rythmes qui évoquent Ravel, des extraits des œuvres du maître, et des musiques qu’il aimait : Gershwin et Stravinsky. Il illustre et soutient ainsi le parcours des dix dernières années de Ravel, de la gloire au crépuscule.
Nous découvrons Ravel dans sa thébaïde de Montfort-L’Amaury, nous le suivons dans son voyage transatlantique sur le paquebot France, sa tournée aux U. S. A., sa fascination pour le jazz, ses insomnies, son ennui chronique. La narratrice devient Hélène Jourdan-Morhange, Marguerite Long, Ida Rubinstein. Le narrateur, joue aussi Georges Jean-Aubry, le commandant du France, son ami Zogheb, ou Wittgenstein, mais toujours sur le mode du récit : « il », et jamais « je ».
C’est une très judicieuse manière de mettre entre l ‘action et le comédien cette distance conforme au personnage Ravel qui ne montre jamais d’émotion, ne doute jamais de lui. Cependant, le succès fleurit là où le musicien ne l’attendait pas : ce Boléro, cette partition « qui s’autodétruit » et qui « marche extraordinairement. »
Puis vient la douloureuse descente aux enfers de la maladie, l’inquiétude impuissante de ses amis, la mort.
Anne-Marie Lazarini a su donner à sa transposition le mystère qui entoure le secret et la magie du compositeur. Parmi les créations théâtrales de la saison, celle-ci est un heureux miracle.
Photos : © Lot
Ravel de Jean Echenoz d’après le roman paru aux éditions de Minuit
Adaptation et mise en scène d’ Anne-Marie Lazarini
Théâtre des Artistic-Athévains
01 43 56 38 32
depuis le 27 mars jusqu’au 5 mai, puis du 15 novembre au 22 décembre
Tout Echenoz
(week-end de lectures, films, concert, exposition, causerie, librairie)
le samedi 13 avril à partir de 12 h
et dimanche 14 avril à partir de 14 h
www.artistic-athevains.com
23:38 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Littérature, Livre, Musique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : théâtre, littérature, artistic athévains, echenoz, anne-marie lazarini | Facebook | | Imprimer
14/03/2013
Voici l'heure...
Robinson a fait ouvrir les portes du temple et une neige serrée tombe sur le Père Lachaise. Le metteur en scène l’aurait voulu ainsi, à la fin du spectacle, son dernier.
Sauf qu’il ne viendra pas saluer. Et que ces mots de Platon, inscrits au fronton intérieur :
Voici l’heure de nous en aller
Moi pour mourir, vous pour vivre
Qui de nous a le meilleur partage ? »
il ne les dira pas, lui, Jérôme Savary, qui aimait tant la vie.
Et la fanfare du Magic Circus - dont l’étendard de velours pourpre brodé d’or n’appelle plus à aucune provocation, - joue comme introït le Saint James infirmary. Puis, il y aura ses musiques préférées : Duke Ellington, Gregg Martin, John Coltrane, Count Basie. Mais pas de discours !
Nous sommes là, immobiles, et Billie Holiday chante :
The snow is snowing, the wind is blowing
But I can weather the storm !
What do I care how much it may storm?
I've got my love to keep me warm.
Et nous pensons à lui qui nous a donné tant d’émotion.
Et soudain sa voix nous parle, railleur, de la solitude et de la mort. C’était, il me semble, Les Derniers jours de solitude de Robinson Crusoé*. Il disait « le théâtre ce n’est pas la vie », et encore « le problème de la mort ne nous est pas étranger », et les spectateurs riaient.
On l’a souvent pris pour un bouffon, il était un philosophe. Et un roi international de la scène que ce fût au Théâtre ou à l'Opéra.
Sur When the saints go marching in, la fanfare jouait la sortie vers le Paradis sous les applaudissements.
Alors, Michel Dussarat, qui l’accompagne depuis toujours, donna à Nicolle Rochelle** un micro afin qu’elle puisse chanter une dernière fois pour celui qui révéla son talent dans le rôle titre de sa dernière création à l’Opéra-Comique : Looking for Joséphine.
Et nous n’avions plus envie de le quitter.
Il est donc resté parmi nous, et il suffit de dire « La Périchole », ou « Cyrano de Bergerac », « Chantecler », « Arturo Ui », "La Femme du boulanger", ou « Utte Lemperer », « Barbara Schulz », « Mistinguett », « Zazou », pour que, de nos mémoires, l’écheveau des souvenirs nous le ramène, éternel saltimbanque, riant des inanités humaines afin de continuer à vivre…
Photo : Nina et Manon avec leur père Jérôme, et Michel Dussarat devant l'affiche de La Fille à marins, spectacle donné au Théâtre Rive gauche en 2012. © D.R.
On pourra consulter, pour plus d'images, sur cet hommage à Jérôme Savary :
· * Texte publié dans L’Avant-Scène Théâtre N° 496 (épuisé), en 1972.
· ** qui fut une Joséphine Baker étonnante
14:39 Écrit par Dadumas dans cabaret, culture, humour, Musique, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jérôme savary, théâtre, opéra, spectacles, musique | Facebook | | Imprimer
27/02/2013
Quand les lendemains ne chantent plus
Ils se sont rencontrés à la fin des années 50, et ne se sont plus quittés. Aujourd’hui, c’est la vie qui les quitte, par instants, par miettes. Quand les lendemains ne chantent plus, ils s’aiment encore, et se caressent et pensent à leur jeunesse. Lui (Christian Bouillette), revoit par bribes son passé, et ses souvenirs s’affolent comme les spectres pâles autour de lui. Trois jeunes circassiens (Julie Pilod, Matthieu Gary, Vasil Tasevski), s'agitent près du vieil homme un peu hagard, qui suit d’un regard halluciné les prouesses de leurs jeunes corps, fermes et souples.
Julie Berès, dans son spectacle, cite Les Fraises sauvages de Bergman, et son septuagénaire rappelle le professeur Brod, sa nostalgie du passé heureux, son amertume devant la fuite du temps et la décrépitude inéluctable. On pense aussi à cette mise en scène de Faust par Antoine Vitez où le vieux Faust, vêtu de lin blanc, tournait, comme envoûté, autour du jeune Faust séduisant Marguerite.
Les très belles lumières de Daniel Lévy, voilent pudiquement, d’une obscure clarté, le vieillissement des corps. L’atmosphère est étrange et tendre. Le Chœur de la Ville accompagne, par ses chants, le déroulement des tableaux, sur une création sonore de David Segalen. La chorégraphie de Stéphanie Chêne, la scénographie de Mathias Baudry construisent un spectacle d’une beauté poignante, d’une rigueur fantastique et d’une émotion contenue.
Et cette création originale va tourner : ne la manquez pas !
Lendemains de fête de Julie Berès
Jusqu’au 5 mars
Théâtre des Abbesses
01 42 74 22 77
du 25 février au 5 mars 2013
La Rose des Vents – Scène nationale à Villeneuve d’Ascq
du 12 au 15 mars 2013
Centre culturel Théo Argence – Saint Priest
le 20 mars 2013
L’Agora – Évry
le 26 mars 2013
Le Grand R – Scène nationale de La Roche-sur-Yon
le 4 avril 2013
Théâtre de Bourg-en-Bresse
les 10 et 11 avril 2013
Espaces Pluriels – Pau
le 25 avril 2013
Théâtre de Grasse
les 3 et 4 mai 2013
Théâtre de Champigny
le 17 mai 2013
Espace des Arts – Scène nationale de Chalon sur Saône
les 29 et 30 mai 2013
22:08 Écrit par Dadumas dans danse, Musique, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre des abbesses, julie berès | Facebook | | Imprimer