15/11/2012
« Comme un gosse »
La pièce de John Steinbeck, Des souris et des hommes, adaptée par Marcel Duhamel, avait été créée en 2002 au Théâtre 13, mise en scène par Jean-Philippe Évariste et Philippe Ivancic avec Anne Bourgeois pour la direction d’acteurs. Elle est actuellement reprise au Théâtre 14, et elle nous paraît toujours aussi remarquable.
Dans la Californie de la grande crise, celle de 1929, - on pourrait aisément s’y tromper – deux hommes, George (Jean-Philippe Évariste) et Lennie (Philippe Ivancic) tâchent de survivre comme saisonniers. Ils s’épaulent, et malgré toutes les vicissitudes, restent amis. Et ce n’est pas facile, car Lennie, un colosse simple d’esprit, s’attire toujours des tas d’histoires. De ferme en ferme, ils portent un rêve, celui de s’en acheter « un lopin de terre, une petite maison, une vache, un cochon, et des lapins », une ferme à eux, afin de retrouver leur dignité d’hommes libres. Car, là où ils trouvent de l’embauche, les hommes abrutis de travail, ne s’intéressent à rien ni à personne. Sauf peut-être le vieux Candy (Jean Hache ou Jacques Herlin) qui a été mutilé par une machine, qui, voit avec angoisse venir le temps où on ne pourra plus lui donner du travail, et qui n’a « nulle part où aller ».
Mais les autres, Carlson (Jacques Bouanich), Whit (Hervé Jacobi), Slim (Philippe Sarrazin), ne rêvent que d’aller dépenser leur paye au bordel, et trouvent normal la ségrégation dont le pauvre Crooks (Augustin Ruhabura) est victime.
Le patron (Henri Deus) ne veut pas d’histoire sur ses terres, et son fils, Curley (Emmanuel Dabbous) ne supporte pas qu’on jette un regard sur sa femme (Gaëla Le Devehat), laquelle trouve toujours un prétexte pour traîner dans les baraquements des ouvriers agricoles.
Au moindre mot, la tension monte, et les haines se décuplent. Lennie qui ne mesure pas sa force, ne maîtrise pas ses colères. Il est « comme un gosse ». Il disloque ceux qu’il veut caresser. Les autres appliquent la loi de Lynch. C’est leur justice. La justice des hommes...
Le décor en cloisons de bois filtre le soleil de la Californie (lumières de Jacques Rouveyrollis). Les nuits sont profondes, les hommes ont des habits usés, déteints, et s’affolent devant les robes fleuries, décolletées, soyeuses, de la femme (costumes Emily Beer).
Chacun des comédiens possède le ton juste, mais le plus bouleversant reste Philippe Ivancic, avec ses gestes maladroits, ses regards noyés, ses sourires mouillés. Dans ce monde brutal, impitoyable, Steinbeck garde une tendresse pour ses héros, et tous ceux qui jouent dans cette production la transmettent au public.
photos : © Lot
Des souris et des hommes de John Steinbeck
Théâtre 14
Jusqu’au 31 décembre
Ma, ve, sa, 20 h 30 Me, je, 19 h
01 45 45 49 77
16:50 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, steinbeck, théâtre 14 | Facebook | | Imprimer
11/11/2012
Quand la musique s’en mêle
On ne louera jamais assez la diversité des programmes du Théâtre de la Ville et la ténacité de son directeur, Emmanuel Demarcy-Mota, à soutenir les jeunes talents, les œuvres scéniques qui mêlent la danse et la musique aux formes dramatiques.
David Lescot a déjà eu cinq spectacles présentés au Théâtre des Abbesses, et dans cette relation de fidélité, l’auteur, cette année, comme artiste associé, en donne deux autres, très différents : Les Jeunes et Quarante-cinq tours.
Dans Les Jeunes, David Lescot montre deux groupes de rock, tous les deux constitués de pré-adolescents, les Schwartz, sont des garçons, qui, comme dans Peines d’amour perdues, rejettent « les femelles », et jurent de ne pas céder à « la tentation des donzelles » dans leur vie, ni à celle de la « pédale à effets » dans leur musique. L’autre groupe rassemble trois filles, les Pinkettes. Voix fragiles, corps hybrides, les deux groupes sont interprétés par les mêmes comédiennes, (Alexandra Castellon, Bagheera Poulin, Marion Verstraeten) avec des costumes de Marianne Delayre, transformables à vue, en dix secondes. Trois musiciens les accompagnent : Flavien Gaudon, Philippe Thibaut et… David Lescot. Il sait tout faire ce gaillard-là ! Catherine Matisse,joue la mère dépassée, étonnée, inquiète.
Le succès est fulgurant, inexplicable, et éphémère. Dans un monde qui veut rester jeune, les adultes s’habillent et se comportent comme des ados, et les plus malins exploitent ces jeunes. Mais dès que les voix muent, l’adulation se tourne vers d’autres objets. Le miroir aux alouettes est brisé.
D’une tout autre facture est Quarante-cinq tours. « Quinze pièces de trois minutes, comme quinze morceaux sur un disque vinyle ». David Lescot auteur et musicien dialogue avec DelaVallet Bidiefono, danseur et chorégraphe de Brazzaville. « Volonté de combattre, occasion et obligation de se connaître » dit l’antienne répétée par Lescot. Et sur ce thème, des situations convergent. La danse des mots s’accorde à celle des corps. Et quand on rend « souplesse, vigueur et relâchement » au corps, la pensée peut s'élancer et s’épanouir.
C’est ce qu’il faut pour rester « à l’écoute du monde ».
Les Jeunes et Quarante-cinq tours de et avec David Lescot
Théâtre des Abbesses
Jusqu’au 24 novembre
01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com
17:09 Écrit par Dadumas dans danse, humour, Musique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : théâtre, musique, danse, rock, david lescot, théâtre des abbesses | Facebook | | Imprimer
09/11/2012
Le chemin de croix de la Thénardier
Comment raconter Les Misérables sur scène quand on n’a que huit comédiens et qu’on n’a pas les moyens financiers d’une production internationale ? Le projet tient de la gageure.
Manon Montel qui a créé sa compagnie (Chouchenko) en 2004, a choisi quelques scènes essentielles, ajouté quelques dialogues oubliés dans beaucoup d’adaptations (le sermon de Jean Valjean à Montparnasse), cite quelques vers des Châtiments, une phrase de Mille Francs de récompense et tisse l’intrigue autour d’une narratrice : la Thénardier (Claire Faurot qui joue aussi Gavroche), cette femme qui n’était mère que pour ses deux filles : Éponine et Azelma et s’était débarrassée de ses trois garçons.
L’idée est intéressante, d’autant qu’elle prouve que Manon Montel connaît bien le roman. En effet, quand Thénardier (Stéphane Soussan, qui joue aussi un bagnard, et un émeutier), vient chez Marius dénoncer Jean Valjean (Stéphane Dauch), qu’il dit avoir « épouse et demoiselle » à embarquer pour l’Amérique, Marius lui rétorque qu’il ment puisque sa femme est morte.
C’est donc Madame Thénardier (, morte et sortant des brouillards de l’au-delà, qui relie les époques, les protagonistes, et se plaint : « Y’a pas d’justice ». Elle raconte comment Jean Valjean vole Petit-Gervais, sauve les deux enfants d’un gendarme, devient Monsieur Madeleine. Elle accuse son mari des maux qu’elle subit, elle commente l’attitude de Marius, celle de Cosette devenue jeune fille, pousse Éponine (Loreline Mione), à se prostituer. Ce n’est plus l’épopée de Jean Valjean mais le chemin de croix de Madame Thénardier.
Cependant, si ses comédiens sont habiles à jouer plusieurs rôles, à chanter, qu’ils ont suffisamment d’aisance pour donner les scènes de foule dans des chorégraphies bien pensées (Claire Faurot), soutenues par les lumières de Sébastien Lanoue, des costumes congruents (Patricia de Fenoyl) et qu’elle-même interprète successivement Fantine, Cosette jeune fille, et l'ardent révolutionnaire Enjolras, il est bien difficile aux jeunes spectateurs de suivre l’intrigue.
L’œuvre a été créée, dit le dossier de presse, avec la participation d’élèves d’un lycée et sans doute y avait-il des grisettes autour de Fantine, une Cosette enfant, un Petit-Gervais et un Gavroche plausibles. Ils manquent terriblement. Comme nous manquent le vieux Gillenormand, un Javert (Jean-Christophe Frèche) plus massif et un Monseigneur Myriel qui n’ait pas l ‘âge de Marius.
L’œuvre a été créée, dit le dossier de presse, avec la participation d’élèves d’un lycée et sans doute y avait-il des grisettes autour de Fantine, une Cosette enfant, un Petit-Gervais et un Gavroche plausibles. Ils manquent terriblement. Comme nous manquent le vieux Gillenormand, un Javert plus massif et un Monseigneur Myriel qui n’ait pas l ‘âge de Marius.
Heureusement, certains tableaux subjuguent par leur beauté, leur efficacité narrative, et l’on se dit, que, si en sortant, quelques-uns ont envie de se replonger dans le livre, la gageure était bonne.
Les Misérables d’après le roman de Victor Hugo
Adaptation et mise en scène de Manon Montel
Vingtième Théâtre
01 48 65 97 90
jeudi 15, 22, 29 novembre, 6 décembre, à 14 h 30,
mardi 11 décembre à 20 h
www.chouchenko.comD I S T R I B U T I O
17:33 Écrit par Dadumas dans Histoire, Littérature, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : victor hugo, vingtième théâtre, théâtre, littérature | Facebook | | Imprimer