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27/03/2011

Au palais d’injustice*

 


Le Hugo de Mille francs de récompense ne craint pas la censure. Il refuse que son Théâtre en liberté  soit joué. Aussi s’en donne-t-il à plume joie pour traiter tous les thèmes qui lui tiennent à cœur, et en particulier  celui de la justice, donc de la liberté car « qui n’a pas la liberté n’a plus la vie ».

Il ne situe pas sa pièce dans une Espagne déclinante, une Angleterre déchirée, une Italie autocratique, une France historicisante. L’action de Mille francs de récompense est installée dans le Paris de sa jeunesse.

Il nous parle de la police et de la justice de 1825**, parce qu’au moment où il écrit, en 1866, le régime est toujours aussi dur pour le peuple. Rien n’a changé depuis qu’il écrivait dans Ruy Blas  « l’alguazil, dur au pauvre, au riche s’attendrit ». La classe au pouvoir et ceux qui la soutiennent préfèrent une « injustice à un désordre ». Le code pénal ? « Quinze ans et onze mois, on est un polisson ; quinze ans et trois mois, on est un bandit » dit Glapieu, qui, pour avoir volé douze sous à seize ans, a été condamné à trois ans de « maison d’éducation », où il a appris le métier de voleur.

Aujourd’hui on a fait de grands progrès. Certains, en 1945, avaient fait fermer les « bagnes d’enfants ». Mais au XXIe siècle, d’autres pensent qu’il faut incarcérer les « sauvageons » dès treize ans, et même les débusquer dès la maternelle. Ainsi, « grâce à la sollicitude de la société », ils pourraient, être « éduqués ». Malgré  cette instruction, Glapieu, étiqueté « récidiviste », interdit de séjour à Paris, « ne se sent pas la vocation » et quitterait « volontiers l’état, mais la police ne le veut pas. »

Le rôle de Glapieu, filou devenu redresseur de torts est sans doute un des plus beaux du répertoire. On imagine qu’il fut Gavroche dans « son vieux temps », c’est-à-dire son enfance. Il en a l’humour, la désinvolture, la finesse d’esprit, la détermination, la vivacité.

Hélas ! Le soir où nous avons vu Mille francs de récompense, à La Coursive de La Rochelle, Jérôme Huguet qui interprète Glapieu a confondu rapidité de l’intelligence et précipitation de la parole. Le texte du premier acte, débité à l’allure d’un cheval au galop (c’étaient les grandes marées), devenait inaudible. Jouer les essoufflés, au théâtre, demande une diction impeccable. Sinon comment comprendre la situation et toutes les subtilités des réflexions en contrepoint du drame qui se déroule sous ses yeux, alors qu’il fuit la police.

La jeune et jolie Cyprienne (Émilie Vaudou) veille son grand-père, le major Gédouard (Eddy Letexier). Il donnait des leçons de musique. Depuis qu’il est malade, sa mère Étiennette (Christine Brücher) et elle, n’ont plus de ressources, les dettes se sont accumulées, et ce matin d’hiver, on vient les saisir. L’huissier procède sous les ordres d’un certain Rousseline (Laurent Meininger), un tartuffe opportuniste. Sous le masque de la respectabilité se cache un profiteur, vindicatif et cupide qui convoite Cyprienne, laquelle est amoureuse du jeune Edgar Marc (Benjamin Hubert), commis de banque. Pour arrêter la saisie, il faut quatre mille francs. Edgar les donne. L’argent ne lui appartenait pas. Les femmes sont sauvées, mais pas la société ! Edgar devra rendre des comptes.

Hugo, comme il le fait toujours, ébauche un croquis du décor pour ce premier acte. Il place les entrées et sorties, à savoir, la porte qui donne sur l’appartement où se déroule la vente des meubles, celle de l’escalier de service par où Glapieu pénètre dans le logis, la lucarne qui donne sur le toit, la garde-robe où il se cache, l’alcôve où dort le grand-père malade, le piano sur lequel il donnait ses leçons. Hugo écrit tout en mettant en scène, et l’emplacement qu’il prévoit règle les déplacements de ses personnages.

Le metteur en scène, Laurent Pelly, inverse le schéma, c’est son droit. Mais il place le lit du grand-père de telle sorte, que le public assis à jardin dans la salle, ne le voit pas. Éclairage à contre-jour, ombres chinoises du va-et-vient des intervenants, esthétisent la scène, mais la rende-t-elle efficace pour le spectateur ? De même quand l’auteur écrit que Cyprienne est en robe de toile « blanche », le code est évident. Pourquoi l’habiller de gris ? C’est un détail direz-vous. Sur scène, chaque détail est signifiant.

Heureusement l’acte suivant est parfait. Décor (Chantal Thomas), éclairage (Joël Adam), perruques, masques et accessoires, neige qui tombe, tout s’inscrit dans la soirée de carnaval conçu par Hugo. Deux personnages nouveaux entrent en scène. Des noceurs : M. de Pontresme (Thomas Condemine), et Barutin (Jean-Benoît Terral). Ce dernier est député, mais il « ne s’occupe pas de politique », juste de finances. L’autre est un oisif, mais il apprend que son oncle chancelier l’a fait nommer substitut du procureur, « pour le forcer à se ranger. » Ce soir, le bal, demain « la justice et le code ». Pour sa dernière soirée à « jouir  de la vie », Pontresme va offrir à Glapieu de quoi faire le bien, « quatre mille francs, plus dix napoléons » pour sauver un homme qui se noie. Thomas Condemine est excellent. Glapieu a retrouvé son souffle, ce deuxième acte est un miracle.

Naturellement nous verrons plus tard, ce substitut à l’œuvre, en haut d’un tribunal où il doit juger Edgar, accusé, à tort, d’avoir forcé le coffre-fort de la banque Puencarral. Le banquier (Rémi Gibier encore, plus douloureux qu’au premier acte) est « un millionnaire triste », et qui n’a nullement l’âpreté au gain que Rousseline lui prête. Il s’appelle en réalité André. Il recherche la femme et l’enfant dont les guerres napoléoniennes l’ont séparé. Vous avez deviné ! Ce sont les deux femmes réduites à l’indigence et à la merci de Rousseline !

Tous se retrouvent le lendemain matin au palais d’injustice. Puencarral y découvre sa famille, Edgar recouvre l’honneur. Grâce à Glapieu : « Ah ! vous êtes le bon Dieu ! », lui dit Cyprienne. C’était « trop d’avancement ! ». Le bon Dieu sort « entre deux gendarmes ». C’est dans la logique du code. Puencarral retire sa plainte, demande la mise en liberté. Mais il faut que « justice suive son cours ». Or, la justice recule, - et le décor aussi.

Pontresme promet : « On sera indulgent. On fera ce qu’on pourra. »  Mais que peut-il faire quand « la vérité finit toujours par être inconnue » ? Se retourner contre Rousseline qui mérite certainement la corde pour le pendre? Ne pas poursuivre ? On abandonne bien les poursuites contre Jean-Marie Banier…

Mais ceci est une autre histoire !

 

 

 

Prochaines représentations :

5 > 17 avril – Théâtre de Carouge – Genève

11 mai > 5 juin – L’Odéon, Théâtre de l’Europe

 

 

*Poème d’Albertine Sarrazin

« Au Palais d'injustice en la sanglante robe

On t'a signé ce jour un bon d'éternité… »

 

** Au sujet de l’établissement de la date, voir l’édition d’Arnaud Laster, du Théâtre en liberté, de Victor Hugo, édition Folio.

 

 

19/03/2011

Un généreux égoïste

 

 

Léon de Saint-Pé est un personnage récurrent dans les dernières pièces d’Anouilh, et de La Culotte au Nombril, il fulmine contre les siens, la société, les journalistes, la terre entière. Foutu caractère que Léon et foutue famille que les Saint-Pé !

Jean Anouilh n’a jamais été un tendre, et, à l’automne de sa carrière, miné par la maladie, malmené par la critique, vampirisé par tous les pique-assiette qui le croient fort riche, il est devenu un peu ce Saint-Pé (Francis Perrin), cet auteur atrabilaire qui  juge bien ingrats les humains, et injuste l’existence qu’ils lui font mener.

Il cite Molière « Pourquoi ne m’aimer pas, Madame l’impudente »*, car, devenu barbon, il doute de la sincérité de sa jeune maîtresse (Alexandra Ansidei). Il ne fait guère confiance à son ami Gaston (Éric Laugerias), tapeur professionnel, il se méfie de son médecin  (Jean-Paul Bordes), ruse avec son ex (Francine Bergé), ses filles (Sarah Grappin, Perrine Tourneux), son gendre (Davy Sardou), mais finit toujours par céder. Chèques à la famille, chèque à Gaston, ou pourboires au livreur (Christian Bouillette), le soi-disant « égoïste », arrose tous les solliciteurs. Lui qui est accusé de « se regarder  le nombril », écoute les doléances de chacun et les entretient malgré une lucidité amère. Il a l'égoïsme généreux, Léon de Saint-Pé ! Ou peut-être est-ce un faible qui ne sait pas dire non, et paye pour avoir la paix. Mal lui en prend !

 Pour sa dernière mise en scène, Michel Fagadau a fait confiance aux acteurs qui dansent autour de Francis Perrin une parade cocasse, dans un décor trop sage de Mathieu Lorry-Dupuy, des costumes de Pascale Bordet qui situent la pièce dans les années cinquante plus que dans la décennie 80 où elle fut créée.

Anouilh reste un maître dans la réplique assassine, et la farandole des « fâcheux » se termine en ballet farcesque à la dernière séquence. La pièce aurait pu devenir un « bal des voleurs » plus actuel. Car, hélas ! Les humains ne se sont pas corrigés en trente ans…

 

 

 

* L’Ecole des femmes

 

 

Le Nombril de Jean Anouilh

Comédie des Champs-Elysées

01 53 23 99 19

 20 h 45

11/03/2011

Pour l’amour du Théâtre

 

 

Les mythologies modernes fabriquent des dieux avec des hommes. Gérard Philipe « prince en Avignon » illumina notre génération. Elle hante encore celle de nos fils et un jeune auteur, Pierre Notte, place l’icône au centre de sa nouvelle pièce : Pour l’amour de gérard philipe.  

On peut s’étonner de l’absence de capitales à ce nom propre, et cette  typographie a dû susciter un long débat comme les aiment, dans les rédactions, les correcteurs gardiens de l’orthodoxie de la langue. Mais ces jeunes auteurs aiment provoquer pour mieux affirmer leur génie.

Génie ? Oui, génie. Et je ne galvaude pas mes mots. Sinon comment dire cette écriture singulière ?

théâtre,pierre notte,gérard philipeLe théâtre de Pierre Notte n’est pas réaliste. Il transcende la vie réelle et pourtant, chacun de ses personnages parle de nous, de nos familles, et de nos destinées. La fable tend des fils que sont les événements qui ont marqué nos existences. Et sur cette trame, l’auteur chaîne les jours de ses personnages, il les relie à la marche du monde. Il les ancre dans une réalité avec des repères qui marquent l’Histoire : prise de pouvoir de Castro à Cuba (1er janvier 1959), abolition de la peine de mort (1981), ou datent l’histoire de l’humanité : juillet 1969 : « on a marché sur la lune »… Ou, plus simplement, les jours qui ont submergé d’émotion les humains sensibles que nous sommes restés : 25 novembre 1959 : mort de Gérard Philipe, 27 janvier 1983, mort de Louis de Funès, 14 septembre 1982, mort de Grace de Monaco.

Ceux-là n’étaient pas de nos parents, mais ils nous représentaient : Grace de Monaco, la roturière devenue princesse, dont la beauté faisait rêver les hommes et les petites filles ; Louis de Funès, dont la difficile ascension vers la gloire prouvait à tous que le talent et la persévérance finissaient toujours par triompher. Et Gérard Philipe ? « Acteur idolâtré au théâtre », comme au cinéma, il était aussi « un fils aimant, un mari fidèle, un père de famille heureux, un bon camarade, un militant concentrant les aspirations de la jeunesse d’après guerre » écrit Rodolphe Fouano*. L’idéal !

théâtre,pierre notte,gérard philipeOn comprend que la Madame Gérard, brave petite future Mère (Sophie Artur) en rêve, tandis que le futur Père (Romain Apelbaum), qui songe à faire de l’enfant « un futur héros » veut l’appeler Charles, comme de Gaulle. Un obsédé du sexe, le père, un peu grincheuse la mère. Mais bonne mère qui allaite encore l’enfant  à huit mois. Le pauvre « petit bout » a un handicap, il n’a qu’un doigt à chaque main. Le père l’a prénommé Charles, la mère l’appelle Fanfan, et quand le père basculera de la grand roue, elle l’appellera Philippe : « c’est mieux ». Elle était frigide, elle reste fidèle. Et régulièrement, elle emmène son Fanfan sur la tombe, « dire bonjour à papa ». 

Puis l’enfant devient homme (Raphaël), quitte le deuil et  sa mère. Embauché dans le cirque de Max Vogler (Bernard Alane), il séduit son épouse, Bibi Vogler (Emma De Caunes), apprivoise une ourse féroce (Romain Apelbaum), sauve le cirque, devient « quelqu’un ».

 

théâtre,pierre notte,gérard philipeDans un univers où les monstres paraissent ordinaires, un homme qui n’a que deux doigts est précieux, surtout quand il dompte une grosse bête réputée méchante, joue de la musique sur des verres de cristal et sauve le cirque de la faillite. La monstruosité ne serait-elle pas dans le regard que les gens portent sur l’homme différent ? Chez Pierre Notte, les « grosses bêtes » qui font peur aux hommes ne sont pas les plus dangereuses. Un loup peut être victime d’un enfant (Et l’enfant sur le loup), et ici, le criminel est Max Vogler, pas l’ourse.

Devenu metteur en scène, l’auteur inscrit le parcours de ce voyage initiatique sur un praticable légèrement pentu, d’où jaillissent quelques accessoires. Sur le mur du fond la toile de Crewer, qui présente les personnages, laisse place à des projections fantastiques, une réalisation vidéo (Jean-François Mariotti), et, présence sacrée, l’image de Fanfan la Tulipe-Gérard Philipe. Le texte est quelquefois chanté, car ce diable d’auteur connaît la musique et touche à tout dans le spectacle. Ses textes, empreints d’ironie rendent légers les moments graves. Bernard Alane gémit un peu : « Quand je pense que j’ai joué Claudel » ! On le préfère ici !

Seul le Dieu du Théâtre peut transformer les hommes... La preuve, Romain Apelbaum, père égrillard se régénère en ourse virginale et attentionnée. Sophie Artur avec son air sérieux  touche à la sainteté, Raphaël à l’angélisme. Personne ne s’étonne que les morts restent présents auprès des vivants qui leur sont chers, que les animaux parlent, et que le miracle soit permanent. Pour l'amour du théâtre, la vie vaut la peine d'être applaudie.

 

 

 

 

photo : Ifou pour lepoilemedia

 

 

 

 

·          In Avant-Scène N°1301 consacré à la publication de la pièce.

Pour l’amour de gérard philipe de Pierre Notte

Théâtre La Bruyère à 21 h 

  01 48 74 76 99

  

P. S. La pièce a été créée au Japon, en 2009.

Ah! que la mondialisation peut être intelligente !