01/01/2014
Meilleurs voeux
Je vous transmets ceux d'Ariane Mnouchkine, elle parle et écrit mieux que moi :
Vœux d'Ariane Mnouchkine, offerts à Mediapart.
"Mes chères concitoyennes, mes chers concitoyens,
A l'aube de cette année 2014, je vous souhaite beaucoup de bonheur.
Une fois dit ça, qu'ai-je dit?
Que souhaitais-je vraiment ?
Je m'explique : je nous souhaite d'abord une fuite périlleuse, et ensuite un immense chantier. D'abord fuir la peste. La peste de cette tristesse gluante, que par tombereaux entiers, tous les jours, on déverse sur nous. Cette vase venimeuse, faite de haine de soi, de haine de l'autre, de méfiance de tout le monde, de ressentiment passif et contagieux, d'amertume stérile, de hargne persécutoire. Fuir l'incrédulité ricanante, enflée de sa propre importance. Fuir les triomphants prophètes de l'échec inévitable. Fuir les pleureurs et les vestales d'un passé avorté à jamais et barrant tout futur.
Une fois réussie cette difficile évasion, je nous souhaite un chantier. Un chantier colossal. Pharaonique, himalayesque, inouï, surhumain, parce que justement totalement humain. Le chantier des chantiers. Ce chantier sur la palissade duquel, dès les élections passées, nos élus s'empressent d'apposer l'écriteau : Chantier interdit au public . Je crois que j'ose parler de la démocratie. Etre consulté de temps à autre ne suffit plus. Plus du tout. Déclarons-nous tous responsables de tout. Entrons sur ce chantier. Pas besoin de violence, de cris, de rage. Pas besoin d'hostilité, juste besoin de confiance. De regard. D'écoute. De constance. L'Etat en l'occurrence, c'est nous.
Ouvrons des laboratoires, ou rejoignons ceux, innombrables déjà, où à tant de questions et de problèmes, des femmes et des hommes trouvent des réponses, imaginent et proposent des solutions qui ne demandent qu'à être expérimentées et mises en pratique, avec audace et prudence. Avec confiance et exigence. Ajoutons partout, à celles qui existent déjà, des petites zones libres. Oui, de ces petits exemples courageux qui incitent au courage créatif. Expérimentons nous-mêmes, expérimentons humblement, joyeusement, et sans arrogance. Que l'échec soit notre professeur, pas notre censeur. Cent fois sur le métier remettons notre ouvrage. Scrutons nos éprouvettes minuscules ou nos alambics énormes, afin de progresser concrètement dans notre recherche d'une meilleure société humaine. Car c'est du minuscule au cosmique que ce travail nous entraînera. Et entraîne déjà ceux qui s'y confrontent. Comme les poètes qui savent qu'il faut tantôt écrire une ode à la tomate ou à la soupe de congres, tantôt écrire les "Châtiments". Sauver une herbe médicinale en Amazonie et garantir aux femmes la liberté, l'égalité, la vie souvent.
Et surtout, surtout : disons à nos enfants qu'ils arrivent sur Terre quasiment au début d'une histoire et non pas à sa fin désenchantée. Ils en sont encore aux tout premiers chapitres d'une longue et fabuleuse épopée, dont ils seront, non pas les rouages muets, mais au contraire les inévitables auteurs. Il faut qu'ils sachent, que, ô merveille, ils ont une oeuvre faite de mille oeuvres, à accomplir ensemble avec leurs enfants, et les enfants de leurs enfants. Disons-le haut et fort, car beaucoup d'entre eux ont entendu le contraire et je crois moi que cela les désespère. Quel plus riche héritage pouvons-nous léguer à nos enfants que la joie de savoir que la genèse n'est pas encore terminée, et qu'elle leur appartient ?
Qu'attendons-nous?
L'année 2014 ? La voici."
14:36 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, éducation, Histoire, langue, Littérature, Loisirs, Poésie, Politique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : culture, histoire, théâtre, poésie, politique, philosophie | Facebook | | Imprimer
21/12/2013
Un comique paradoxal
Sébastien Thiéry est un auteur heureux et un comédien qui ne rit jamais. Il affectionne les personnages grincheux, râleurs, soupçonneux qui jettent un regard circonspect et dubitatif sur ceux qui les entourent. Il est un maître du texte court, qui creuse des situations quotidiennes jusqu’à l’inquiétante étrangeté des êtres, et aboutit à une absurdité logique qui fait grincer le rire.
Jean-Louis Benoit a choisi des textes de Sans ascenseur, son premier recueil (2002), et de Dieu habite Düsseldorf son second (2004). Bruno Solo joue avec l’auteur ces rencontres insolites où deux hommes solitaires, qu’aucun signe particulier ne dénonce, peuvent finalement se révéler comme de dangereux maniaques.
Il y a de la folie dans ces deux minables, et ils sont attendrissants. Le monde dans lequel ils se débattent ne les comprend pas et la façon dont ils l’appréhendent ne les rend pas heureux. On en rit, et pourtant ils sont tragiques dans leur solitude. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes de ce théâtre.
Photo : © Brigitte Enguérand
Tilt de Sébastien Thiéry
Théâtre du Poche-Montparnasse
jusqu’au 1er mars 2014
01 45 44 50 21
www.theatredepoche-montparnasse.com
19:10 Écrit par Dadumas dans Blog, humour, langue, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre de poche-montparnasse, sébastien thiéry, humour | Facebook | | Imprimer
Hollywood revisité
Amis des animaux sauvages, réjouissez-vous, dans El Tigre, il n’y a pas de tigre sur la scène du Rond-Point, mais de bien curieux personnages, venus des mythologies du cinéma et d’un endroit d’Argentine où des « cinéfolles » se perdent dans des chimères hollywoodiennes. Vous vous souvenez peut-être du Baiser de la femme araignée d’Hector Babenco où Molina le détenu homosexuel réconfortait Valentin le politique torturé, en lui racontant des films de légende. Dans El Tigre, la tragédie cède la place à une comédie loufoque chantée (composition musicale de Bruno Coulais) et chacun est libre d’aimer à sa guise dans ce Hollywood revisité.
Alors, pourquoi le tigre ? Alfredo Arias nous apprend qu’il s’agit d’un endroit au Nord de Buenos Aires où, « une quantité d’îlots qui flottent au confluent du Gran Paraná, rivière descendant des Chutes d’Iguaçu jusqu’au Río de la Plata », dessinent la peau d’un tigre en vue aérienne. Là, « se dressent des maisons : type datcha russe, chalet suisse ou petit palais indonésien, où se réfugie toute une population qui fuit la fièvre chaotique » de la ville, et dit-il, « J’ai su dès ma jeunesse que dans ces maisons de villégiature aquatique s’était établie une communauté de gays qui profitaient du calme et du dépaysement pour se perdre dans des rêveries cinématographiques, en se racontant les films de telle ou telle autre star, les imitant, et jouissant des dernières tragédies des reines du celluloïd. »
Dans la maison de Holy (Carlos Casella qui ressemble à Joan Crawford dans Johnny Guitar), Dark (Denis d’Arcangelo), l’homme « à tout faire qui devient femme pour lui plaire » voudrait rejouer un film de Douglas Sirk. Une créature extravagante, Fatafatale (Alejandra Radano), qui ressemble à la fois à Blanche-Neige et à la Reine de Walt Disney, hante les lieux. Un orage sur le marais dérègle leur projet. Et l’Indienne Tota (Andrea Ramirez) débarque, bientôt suivie de Lana Turner (Arielle Dombasle), « revenue sur terre/pour s’envoyer en l’air », puis apparaît sa meurtrière de fille Lanita (Alexie Ribes), « emmerdeuse » jalouse, et enfin, Vampira (Alejandra Radano) sortie d’une soucoupe volante, tente d’emmener tout ce monde vers d’autres sphères. Mais force reste à l’Argentine…
Un quatuor à cordes, deux violons (Christophe Guiot, Elisabeth Pallas) un alto (Françoise Gneri), un violoncelle (Jean-Philippe Audin), accompagne les comédiens-chanteurs dans une scénographie de Elsa Ejchenrand et José Cuneo où les lumières de Jacques Rouveyrollis illuminent les îlots verdoyants de la découverte. Et les costumes de Pablo Ramirez suivent les caprices de ces personnages excentriques.
Femmes de rêves ou travestis authentiques, « dernières de la classe et reines des garces », les personnages se moquent des clichés et des idées reçues pour mystifier et mythifier à loisir.
En cette fin d’année, avec ces comédiens surprenants, ils assument mieux que tous les Pères Noël des Champs-Elysées et on rit plus qu’à Broadway.
Photos : © Alejandro Lopez
El Tigre d’Alfredo Arias
Théâtre du Rond-Point
Jusqu’au 12 janvier
Tel. 01 44 95 98 21 - www.theatredurondpoint.fr
17:50 Écrit par Dadumas dans Blog, cabaret, Film, Musique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre du rond-point, alfredo arias, musique, film, cabaret | Facebook | | Imprimer